La France était constituée

Germaine de Staël et Louis de Bonald juges de la Révolution française (1818)

France was established. Germaine de Staël and Louis de Bonald as judges of the French Revolution (1818)

Flavien Bertran de Balanda

p. 229-246

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Flavien Bertran de Balanda, « La France était constituée », Cahiers Staëliens, 69 | 2019, 229-246.

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Flavien Bertran de Balanda, « La France était constituée », Cahiers Staëliens [En ligne], 69 | 2019, mis en ligne le 03 mai 2022, consulté le 21 novembre 2024. URL : https://cahiersstaeliens.edinum.org/363

En 1818, Bonald publie ses Observations sur l’ouvrage ayant pour titre : Considérations sur les principaux événements de la Révolution française par Mme la baronne de Staël : deux stratégies intellectuelles et deux visions de l’Histoire se font face. Mais sous l’opposition évidente se cache une structure en chiasme, qui tend à créer des effets de convergence puisque les deux auteurs, en prêtant la même acception à certains concepts, accordent une place primordiale à la question morale.

Le seul fait d’évoquer le nom de Bonald est propice à tous les malentendus, a fortiori lorsqu’on l’accole à celui de Madame de Staël. N’est-ce pas le vieux royaliste qui jugea de façon aussi sévère et injuste qu’elle était posthume cette « femme qui osait penser1 », et la condamna précisément pour son indulgence présumée envers une Révolution dont son père avait été l’acteur que l’on sait ? La publication en 1818 des Observations sur l’ouvrage ayant pour titre : Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, par Mme la baronne de Staël2 constitua-t-elle autre chose qu’une charge misogyne parmi d’autres, plus fameuse peut-être du fait du renom de son auteur, contre le testament politique de celle qui avait eu le malheur de se proclamer l’amie de la liberté en ces temps feutrés des débuts de la Restauration3 ? Le destin du texte bonaldien connut du reste une fortune complexe ; jamais réédité du vivant du vicomte, la postérité en retint généralement quelques passages du troisième chapitre4, insérés parfois dans tel manuel de philosophie de terminale pour illustrer l’école dite « absolutiste » ou « rétrograde ». Le titre même des éditions tardives dont il a bénéficié témoignent de la persistance tenace d’un brouillage jusque dans sa désignation même : en 1997, il était réimprimé sous une appellation curieuse – La vraie Révolution5 – et plus récemment sous celle, inattendue elle aussi, de Considérations sur la Révolution française6, ce qui n’est pas sans prêter au risque d’une confusion avec l’ouvrage staëlien.

Il s’agit là d’un simple constat, qui suggère cependant qu’à deux siècles de distance, la passe d’armes que se livrèrent ces deux grands esprits du xixe mérite d’être à nouveau questionnée, relue, réévaluée. Certes, on ne peut nier le poids de l’agôn doctrinal et affectif qui a motivé la rédaction de chacun des deux traités ; afin d’en mieux comprendre la teneur, cependant (II), susceptible à son tour d’autoriser la recherche de tangences conceptuelles moins visibles (III), sans doute est-il judicieux de commencer par le commencement, à savoir par le contexte de la réception bonaldienne des Considérations, et de la production de ses propres Observations.

« Avez-vous lu Mme de Staël ? ». Contexte de production des Observations

Printemps 1818. Le duc de Richelieu négocie la tenue prochaine du Congrès d’Aix-la-Chapelle, dont on espère qu’il va convaincre les Alliés d’enfin libérer le territoire français. À Paris, la session parlementaire est en partie agitée par la question de la loi sur le recrutement, et, comme toujours, par celle du budget. Bonald siège alors à la Chambre basse, et bénéficie d’un prestige d’autant plus grand dans les rangs des ultras que ceux-ci ont été décimés par l’ordonnance de septembre 1816 ayant dissous la Chambre introuvable. Il participe donc avec une acrimonie redoublée à ces débats, et confie ses impressions du moment à ses confidents habituels : Joseph de Maistre, à qui il envoie deux brochures reproduisant ses discours7, et Madame de Sèze, qui ne reçoit pas moins de onze lettres de sa plume cette année‑là8.

Son activité d’écrivain semble, pour la période, consister essentiellement à faire fructifier des travaux antérieurs, ou à valoriser des textes déjà publiés auxquels il souhaite donner une seconde vie ; ainsi, en 1817, s’est-il exercé à ramasser les grands axes de sa doctrine sous forme d’aphorismes parfois piquants, qui ont fourni la matière de ses Pensées sur divers sujets, augmentées d’un second volume reprenant ses opinions prononcés en 1815-1816, et elles aussi déjà reproduites pour la plupart au fur et à mesure des interventions sous forme d’opuscules9 ; l’année suivante paraissent ses Recherches philosophiques10, somme plus théorique visant entre autres à combattre le matérialisme hérité des Idéologues, mais qui avait été rédigée vers 1810-1811. Dans le même temps, il compile divers articles donnés pour l’essentiel au Mercure de France sous le Consulat et l’Empire pour nourrir les deux volumes de Mélanges qui paraissent en 181911. Quant à son œuvre journalistique, elle se résume depuis la Seconde Restauration à deux articles dans les Débats, et ne reprend un rythme soutenu qu’à l’automne 1818 avec la cofondation du Conservateur, organe des royalistes « purs ».

Enfin, un épisode plus intéressant autant que méconnu, dont la datation exacte demeure à confirmer, prend probablement place dans les mois qui précèdent, sans doute à l’été 1818 ; il s’agit de la rédaction d’Où allons-nous ?, manuscrit inédit à ce jour12, se composant de cinquante-et-une pages au contenu très polémique. Après avoir dressé un tableau sans fard de la France postrévolutionnaire et des années impériales, Bonald débusque le « ferment » ou le « virus » démocratique dans les institutions de la monarchie restaurée, dont il déplore que la politique suive une route hasardeuse et, selon lui, fatale à terme. L’essai cite à trois reprises Madame de Staël, et notamment « le triste legs qu’elle a fait en mourant à la société de ses Considérations sur la Révolution » – soit, presque mot pour mot, la phrase qui ouvre ses propres Observations.

La genèse de ces dernières est du reste repérable, puisque l’idée en est formulée dès la sortie des Considérations. Dans une lettre d’avril ou mai, il demande en effet à son amie bordelaise :

Avez-vous lu Mme de Staël ? Tout le parti est depuis huit jours à demander grâce aux bons journalistes ou à faire intervenir la police pour que l’auteur et l’œuvre soient traités avec indulgence. Le fils va solliciter jusqu’à Chateaubriand et ils nous déchirent à belles dents13.

Bonald est bien placé pour observer ces manœuvres ; malgré la clôture de la session le 18 mai, il demeure dans la capitale un mois encore avant de regagner son cher Monna. Revenu sur ses terres, il réitère fin juin l’interrogation :

Avez-vous lu Mme de Staël ? Qu’en pensez-vous ? C’est du poison artistement préparé sans doute, et l’on craint le remède […]. Explique cela qui voudra ; pour moi, je m’y perds, et je ne conçois pas le tendre intérêt que l’on porte à cette femme qui avait trop de mouvement dans son esprit et a toujours eu trop d’agitation dans sa vie pour juger sereinement une société en révolution14.

Ici encore, on croit lire dans le texte l’ouvrage à venir. Le 3 juillet, pourtant, il avoue n’avoir pris connaissance du livre qu’« en partie ». Et de commenter :

Son ouvrage est un vrai kaléidoscope qui transfigure tout ce qu’elle vous fait voir : que d’ignorance, que de mauvaise foi, que de préventions ! Que d’assertions perverses dissimulées sous ce grand nom de liberté et de constitution ! Si j’avais le temps de les réfuter, je crois que je le ferais avec avantage, mais il faudrait un livre aussi gros que le sien, et cependant je sens combien cet écrit peut faire de mal, ou donner d’appui au mal qui s’est fait. […] Elle y a peint son caractère vaniteux en mille endroits. C’est un dithyrambe un peu long en l’honneur de son père et de l’Angleterre, ou plutôt de sa constitution, car elle en maltraite les ministres. Aucun parti, sauf les libéraux, ne sera content de cet ouvrage […]. Le proverbe dit morte la bête, mort le venin ; mais elle le fait mentir, et son écrit posthume est le plus venimeux de tous ceux qu’elle a publiés. Je soupçonne qu’on y aura travaillé et que ses amis y auront mis du leur15.

C’est avec des termes peu aimables, on le voit, que Bonald présente sa réponse, telle qu’elle se dessine dans son esprit au fil de la découverte qu’il fait de l’œuvre. Dès le 26 août dans tous les cas, il annonce à la même destinataire avoir terminé sa tâche « au milieu de [sa] récolte et du bruit de [ses] marmots » (ses petits-enfants). Le ton redevient dès lors plus courtois envers la mémoire de la défunte :

J’ai essayé de réfuter l’ouvrage dont je vous ai parlé. Je l’ai pris au sérieux, il y avait une ample matière à la plaisanterie, mais elle ne me paraît pas avoir le même sel vis-à-vis d’un auteur mort, et comme la plaisanterie porte toujours sur la personne, il semble qu’il faille respecter celui qui n’est plus et n’attaquer que sa doctrine qui est toujours vivante16.

Il annonce ensuite avoir envoyé son manuscrit à un ami commun17, après l’avoir déjà soumis à l’examen de son fils aîné qui l’a rassuré une fois de plus sur la qualité du style paternel. Quant au fond, le philosophe craint qu’on ne devine ses sentiments envers la Charte, cette « laide et méchante créature » à laquelle il se félicite de n’avoir pas fait la moindre allusion, exercice peu aisé lorsque la question du constitutionnalisme en général, et de son application en France depuis 1814 en particulier forme bel et bien l’un des principaux linéaments de l’argumentaire staëlien, comme un point d’achoppement obligé avec la doctrine du Rouergat. Celui‑ci poursuit :

Je n’ai répondu qu’aux points principaux et j’ai divisé en paragraphes. L’ouvrage tout entier n’a été fait que pour justifier M. Necker et pour nous jeter dans la constitution anglicane, en politique et même en religion. Si vous voulez, ma chère amie, que je vous dise toute ma pensée, j’ai peine à croire, malgré l’assertion des éditeurs, qu’il soit tout entier de Madame de ST… Il y a trop d’intentions relatives au moment où nous sommes et puis il y a un ton d’amertume et d’injustice envers les victimes qui n’était pas ce me semble, dans son cœur ou du moins sur ses lèvres. Elle était meilleure personne malgré tous ses torts politiques et domestiques et elle n’avait aucune méchanceté dans l’esprit18.

Voilà pour la discrète et intime oraison. Le 3 janvier 1819, Bonald est en possession de ses exemplaires, et décide d’en offrir un à Maistre en le lui présentant dans un langage assez voisin :

J’y joins [à la lettre] un exemplaire de ma réponse à l’ouvrage de Madame de Staël, réponse abrégée, dans laquelle j’ai repoussé ses doctrines beaucoup plus que je n’ai répondu à l’auteur. Il aurait fallu pour cela un écrit aussi volumineux que le sien, et je n’en avais ni le temps ni la force : tel qu’est celui-ci, on en a été content ici ; on y a trouvé de la raison et de la politesse. Il ne fallait pas oublier que je répondais à une femme, à une grande dame qui avait des amis même dans nos rangs : vous en jugerez19.

À mettre ainsi bout à bout ces divers extraits qui souvent se répètent et parfois se contredisent, on en vient à se demander quelle fut réellement la nature du projet bonaldien. Amusement littéraire qui se transmue brusquement en croisade politique, attaque ad nominem soudain mêlée de respect pour l’adversaire, chantier insurmontable surmonté en quelques semaines, l’ensemble peut, à ce point, laisser le lecteur perplexe. Dès lors, seul un examen transversal des deux textes est-il susceptible d’aider à mieux localiser ces apparentes contradictions et, sinon à les résoudre, du moins à en saisir plus précisément la substance.

Affrontements paradigmatiques

Dès le départ, nous nous trouvons face à deux objets complexes de par leur appellation même ; des considérations d’une part, impliquant un recul réflexif d’autant plus important que le sujet auquel elles annoncent s’atteler n’est plus de l’ordre de l’actualité immédiate, mais d’un passé qui a cessé d’être proche. Des observations sur lesdites considérations d’autre part, terme qui suggèrerait un redoublement de ce recul et la mise en place d’un argumentaire méta-critique. Or, force est de remarquer que les deux ouvrages se présentent chacun comme une analyse de la Révolution, pour ne satisfaire en fait ni l’un ni l’autre à cette exigence. Si la Révolution constitue à leur fois leur ligne spinale respective et leur principal espace de rencontre, elle n’est dans les deux cas qu’un point de départ, voire un point de passage : moins qu’à deux réflexions sur l’événement, nous assistons à l’élaboration de deux appareils théoriques suscités par lui puisque, heureux ou malheureux, il se présente comme un choc notionnel, une fissure violente de l’Histoire dont il s’agit de tirer les leçons. Leçons qui n’agissent du reste nullement comme une moralité, mais comme un instrument épistémologique permettant de l’intégrer à un cours plus vaste, autorisant une généalogie du phénomène en amont, et une phénoménologie de ses conséquences en aval.

C’est ici que se brisent une première fois les lances. Germaine de Staël, en évoquant dès la première phrase cette « grand[e] époqu[e] de l’ordre social » qu’elle se refuse à ramener à un « événement accidentel20 », voit Bonald lui rétorquer qu’elle « n’était pas plus inévitable en France qu’elle ne l’est actuellement en Autriche21 ». La répartie est curieuse, qui fait dire au texte staëlien ce qu’il n’avait pas prétendu dire, tout en laissant à l’auteur le soin de « se réfuter elle-même ». D’autant que c’est plutôt le vicomte qui semble ici s’auto-réfuter, lui qui depuis plus de vingt ans n’avait cessé de proclamer que tout était en germe depuis la Réforme, dont les Lumières n’auraient été que le développement et qui, combinées aux dysfonctionnements de la monarchie traditionnelle, avaient non seulement préparé le séisme, mais l’avaient rendu nécessaire, ainsi qu’il le rappelait encore l’année précédente :

Les révolutions ont des causes prochaines et matérielles qui frappent les yeux les moins attentifs : ces causes ne sont proprement que des occasions ; les véritables causes, les causes profondes et efficaces, sont les causes morales, que les petits esprits et les hommes corrompus méconnaissent […]. Vous croyez qu’un déficit dans les finances a été la cause de la Révolution ; creusez plus bas, et vous trouverez un déficit dans les principes même de l’ordre social22.

La commotion était donc inéluctable ; demeure à connaître la nature du déficit de principes incriminé, que les deux auteurs situent dans l’« ordre social ». Pour Staël, il s’agirait d’un déficit de liberté, ce principe moteur du destin des peuples ayant irisé Athènes et Rome, s’étant redessiné en traits grossiers dans les temps féodaux, avant de s’être vu comprimé par la centralisation du pouvoir à l’âge moderne, le règne de Louis XIV formant si l’on peut dire l’acmé de cette apnée ; refusant au Grand Siècle l’éclat même de ses lettres23 elle va jusqu’à reprendre l’expression de Bonald, cet « homme d’esprit [qui] a dit avec raison que la littérature était l’expression de la société24 », pour la retourner contre lui. L’étouffement littéraire n’est que le révélateur suprême d’une suffocation politique, sociale et morale voyant entravé le libre jeu entre bonheur et vertu par lequel seul s’épanouit l’humanité. « Les peuples ne deviennent pas libres par ce qu’ils sont vertueux », pose-t-elle, « mais parce qu’une circonstance heureuse, ou plutôt une volonté forte les mettant en possession de la liberté, ils acquièrent les vertus qui en dérivent25 ».

Bonald se contente d’inverser l’équation, en affirmant qu’« un peuple vertueux est toujours heureux et libre, et [qu’]il n’est même heureux et libre que par ses vertus26 » ; et de conclure lapidairement, pour couper court à toute lamentation sur d’hypothétiques détresses passées, que « nous nous plaignons pour nos pères qui ne se plaignaient pas27 ». L’opposition peut ici sembler aussi radicale que définitive, d’autant que les concepts mêmes qui organisent le politique voient leur sens diverger de manière cardinale. Ainsi le Rouergat accuse-t-il son adversaire, de façon plus que réductrice, d’avoir suivi un raisonnement rhétorique et aporétique :

Tout peuple est malheureux et opprimé, selon Mme de Staël, lorsqu’il n’est pas libre ; il n’est libre que lorsqu’il est constitué à l’anglaise, et il n’est vertueux que lorsqu’il est libre, puisque l’oppression sous laquelle gémissait le peuple français a été l’unique cause des excès auxquels il s’est porté28.

Il est dès lors aisé, le problème ainsi simplifié, d’opposer la définition organique de la constitution qu’il a élaborée depuis sa Théorie du Pouvoir, développant l’analogie entre saine constitution d’un corps physique et saine constitution d’un État, pour décliner en une lente anaphore la nomenclature harmonieuse de la France de jadis, au comble précisément de cet état accompli, et ce d’autant qu’aucun surcroît constitutionnel ne venait entraver cet équilibre parfait : « la France avait donc une constitution ; ce n’est pas le commerce, ce ne sont pas les académies, ce ne sont pas les arts, ce n’est pas l’administration, ce n’est pas même l’armée, qui constituent un État, mais la royauté, la religion et la justice29 », martèle‑t‑il.

Cette quadrature paradigmatique une fois établie, on comprend qu’un été ne lui ait pas suffi pour reprendre point par point le développement staëlien qui, partant de prémisses inverses, se développe comme la possibilité d’un programme en négatif de celui qu’il a passé vingt ans à justifier théoriquement, et dont il est en train d’œuvrer activement à la réalisation concrète. Les Considérations entières peuvent en effet se lire comme une défense de tout ce que Bonald combattit, et comme un combat contre tout ce qu’il défendit – et probablement cette lecture fut-elle la sienne. Comment en effet interpréter autrement la dénonciation des « ennemis de la philosophie », ainsi que la baronne aurait précisément et personnellement qualifié le vicomte30, « représent[ant] le despotisme royal comme un dogme religieux, afin de mettre ainsi leurs opinions politiques hors de l’atteinte du raisonnement31 » ? Même chose pour la noblesse de province, impitoyablement raillée dans « tous ces gentilshommes, dont les titres n’étaient connus que d’eux-mêmes », qui « se voyaient en danger de perdre des distinctions qui n’imposaient plus de respect à personne32 », soit cette noblesse moyenne dont Bonald fait le pivot de l’ordre social ; pour la liberté de la presse, à laquelle la fille de Necker consacre un chapitre entier de louanges33 et que lui ne cessait de dénoncer depuis 1814 jusqu’à se voir confier la présidence de la censure en 1827 ; l’émigration, elle aussi sujet d’un chapitre34, et présentée en des termes qui prennent exactement à rebours ceux par lesquels il n’a de cesse de la justifier comme le dernier souffle de l’esprit chevaleresque, et le choix de la seule et vraie patrie35 ; quant à « la doctrine de quelques émigrés français36 », dont est rappelée, à leur retour en France, leur adhésion au régime de Bonaparte37, c’est bien celle de Bonald comme son propre itinéraire qui se voient directement visés. Le désaccord est à son comble, on s’en doute, lorsqu’on touche aux prérogatives de l’Église, que Staël veut dépouiller des deux privilèges que Bonald s’acharne à tenter de lui restituer, la propriété foncière38 et l’éducation39.

Le second a beau jeu de renvoyer aux libéraux le compliment d’une supposée complaisance envers Napoléon40, tout en absolvant discrètement ce dernier41, ou encore de laver l’honneur de l’aristocratie rurale en incriminant celle qui n’aurait aperçu la Révolution que « de ses fenêtres42 », et, en dernière analyse, aurait « imaginé une société pour justifier une révolution43 ». Riposte un peu courte, serait-on tenté de dire, de la part de celui qui ré-imagina la société d’hier et celle de demain pour justifier la Contre-Révolution. C’est que deux stratégies intellectuelles se font face, brossant chacune un portrait un peu exagéré, dans sa charge ou sa décharge, d’une ancienne France dont Madame de Staël énumère les potentialités laissées trop longtemps dormantes et que la modernité autorise enfin à éclore, tandis que Bonald en refait l’inventaire pour diagnostiquer leur extinction ; deux définitions opposées comme on l’a vu de la liberté permettent à la première d’en appeler l’avènement de ses vœux, au second d’en saturer paradoxalement les institutions d’un passé révolu. Ainsi Bonald clame-t-il à l’envi que la monarchie traditionnelle en offrait la forme la plus avancée, celle d’une ascension sociale collective et permanente :

La tendance naturelle de tous les hommes et de toutes les familles, principe de toute émulation et de toute industrie, est de s’élever, c’est-à-dire de sortir de son état pour passer à un état qui paraît meilleur, et de changer un métier qui occupe le corps, contre une profession qui exerce l’intelligence. […] S’élever, dans la langue morale de la politique, signifiait servir, servir le public dans les professions publiques de la justice et de la force […]. Ainsi, une famille qui avait fait une fortune suffisante achetait une charge, ordinairement une judicature, quelquefois d’administration ; et elle préludait ainsi, par les professions les plus graves et les plus sérieuses, à la carrière publique. Une fois admise dans un ordre dont le désintéressement faisait l’essence, puisque toute profession lucrative et dépendante lui était interdite, elle en prenait les mœurs à la première génération, les manières à la seconde […]44.

Et, plus loin :

Je ne vois donc la liberté, et toute la liberté politique, que dans l’admission, ou plutôt l’admissibilité de tous les citoyens aux fonctions publiques ; […] parce que cette liberté donne à tous les hommes et à toutes les familles l’existence politique, c’est-à-dire le mode le plus élevé et le plus noble d’existence sociale, en faisant passer la famille de la condition privée à l’état public, et l’homme lui-même, du service de l’homme au service de l’État45.

Bonald ne fait ici que reprendre sa définition habituelle de la noblesse, agissant comme un attracteur, un sain catalyseur des forces vives transmuant en permanence l’énergie rendue disponible par l’instinct individuel de réussite en réussite effective mais familiale ; cet élargissement de l’homme à sa descendance dilue l’ambition personnelle, cadre normativement les conditions comme les effets du succès social, tout en permettant sa pérennité. Or, Germaine de Staël n’offre pas une vision radicalement incompatible avec celle de son contradicteur lorsqu’elle déclare :

Il me semble impossible de séparer le besoin d’un perfectionnement social du désir de s’améliorer soi-même ; et, pour me servir d’un titre de l’ouvrage de Bossuet, dans un sens différent de celui qu’il donne, la politique est sacrée, parce qu’elle renferme tous les mobiles qui agissent sur les hommes en masse, et les rapprochent ou les éloignent de la vertu46.

Certes n’est-ce que pour déplorer aussitôt le « peu d’idées de justice » acquis par les esprits, rendant un tel idéal difficilement accessible à l’heure où « l’amour de l’argent, des titres, enfin de toutes les jouissances et de toutes les vanités sociales47 » continue de dénaturer le principe du mouvement. Quant à l’aristocratie, elle a bel et bien indirectement sa place, ou du moins l’a-t-elle eue, dans un tel dispositif tel que conçu par Necker comme « [ayant] pour but d’exciter l’émulation de tous les hommes de mérite48 ». Quelque chose, on le sent, nous dit que la joute, malgré l’invective, ne tourne pas non plus à la cacophonie.

Morale et légitimité

Ce qui meut le politique chez les deux penseurs distingue en somme deux droites vouées à un parallélisme désespérant, car vectoriellement orientées l’une vers la liberté, l’autre vers l’ordre ; l’une vers l’autonomie possible, l’autre vers l’hétéronomie nécessaire ; l’une vers une réconciliation avec Jean-Jacques, l’autre avec sa descente définitive au caveau. Ici encore, une approche plus nuancée ne nous semble pas absolument iconoclaste qui interrogerait de nouveau en amont les fondements du politique, et, en aval, amènerait à une réévaluation potentielle de la praxis qu’ils suggèrent.

Les derniers passages cités montrent clairement que leurs conceptions respectives révèlent une zone au moins de confluence, à savoir leur dimension éminemment morale. Il n’est du reste pas innocent qu’une des rares politesses, mais non des moindres, dont Madame de Staël est honorée par Bonald dans ses Observations soit d’y être comparée, en préambule, à un nouveau La Bruyère49 ; moralistes, chacun trace des caractères pour saisir des vérités plus profondes ; philosophes moraux, chacun entend ancrer son propos dans une weltanschauung de la vertu, qui à son tour devient science. « La morale est la science des sciences, […] et il y a toujours des limites à l’esprit de ceux qui n’ont pas senti l’harmonie de la nature des choses avec les devoirs de l’homme50 », lit-on dans les Considérations. On n’est guère loin des paradigmes qui charpentent la Théorie du Pouvoir, elle-même présentée comme une « science de la société51 » visant à rétablir l’homme moral au-dessus de l’homme physique52. Ici, l’éloge du père est de nouveau primordial, la baronne affirmant pour présenter les « principes » de gouvernement de ce dernier53 que, si la religion est nécessaire au peuple, il est « facile de prouver que les hommes d’un rang élevé en ont plus besoin encore », et qu’« il en est de même de la morale dans ses rapports avec la politique », tant et si bien que « les nations étant durables, elles ne sauraient s’affranchir des lois générales et permanentes de l’ordre intellectuel sans marcher à leur perte54 ». S’il est vrai que Necker « pensait que la suprême habileté consiste à mettre la société en harmonie avec les lois silencieuses mais immuables auxquelles la divinité a soumis la nature humaine55 », on comprend que Bonald ait trouvé en lui un correspondant tout choisi quelques décennies plus tôt56. Les liens entre politique, religion, morale et lois naturelles chez le second et chez la fille du premier mériteraient une étude à part entière ; à défaut de développer l’équation, notons du moins pour l’heure sa présence à importance égale.

On remarque dans tous les cas que la question de la sacralité du politique perce à nouveau, cette fois sous l’angle même du religieux. Partant, elle soulève un problème triple quant à la nature du pouvoir, menaçant les deux continents intellectuels d’un éloignement tectonique sans retour, et qu’on pourrait poser en ces termes simplifiés : si tout pouvoir est de Dieu, est-il par cela divin de droit ? Comment, si tel est le cas, conjurer alors son expression arbitraire, par ailleurs empiriquement attestée ? Quid surtout, en-deçà et au-delà, de la légitimité ?

Chez Staël, telle du moins que Bonald veut l’entendre, le droit divin ne formerait qu’une justification théocratique vaseuse pour les partisans d’un despotisme cachant mal son nom ; seule une monarchie selon son goût, comprenons à l’anglaise ou à la française version Louis XVIII, ce qui revient au même, se verrait de facto et artificiellement qualifiée de légitime, créant ainsi une illusion rétrospective sur les millénaires qui ont précédé ce temps bref et tout récent pour les relire comme un cheminement téléologique vers la Parousie constitutionnelle. Il y a là, pour Bonald, grave confusion dans le sens des mots, d’autant qu’elle procèderait d’une mystification volontaire : ainsi,

le pouvoir absolu est un pouvoir indépendant de ses sujets ; le pouvoir arbitraire un pouvoir indépendant des lois : et lorsque vous érigez un peuple en pouvoir, vous ne lui donnez pas un pouvoir absolu, puisqu’il est dépendant de tous les ambitieux et le jouet de tous les intrigants : vous lui conférez nécessairement un pouvoir arbitraire, c’est-à-dire un pouvoir indépendant de toutes les lois, mêmes de celles qu’il se donne à lui‑même57.

Et de conclure :

[…] dans ce sens, tout ce qui est légitime est divin, puisque la légitimité n’est que la conformité aux lois dont Dieu est l’auteur. […] Il y a un état légal de société qui est l’ouvrage de l’homme, et un état légitime qui est la volonté de Dieu, comme étant l’expression de l’ordre éternel, et la conséquence des lois primitives et fondamentales de la société humaine58.

Autrement dit, est légitime ce qui procède de la constitution déjà évoquée, mieux, ce qui la constitue, à savoir l’unité en tout – la monarchie dans la société politique, la monogamie dans la société domestique, le monothéisme dans la société religieuse. Le légal ne s’y oppose pas nécessairement, mais relève de l’administration, soit de l’interprétation et de l’expression règlementaires que les hommes en font. L’état légitime est certes atemporel, essentiel, et l’état légal contingent ; mais c’est précisément grâce à cela que le premier agit comme critérium inamovible auquel le second doit tendre à se soumettre. Mieux, ils sont naturellement voués à se confondre : « Le progrès de la société et sa perfection consistent à rendre légal tout ce qui est légitime, et légitime tout ce qui est légal, c’est-à-dire, à avoir des lois bonnes et naturelles, et à ne pas en avoir d’autres59 » écrivait Bonald dans un développement voisin de 1817, qu’il reprend en 183860. La tendance à la dispersion, à l’éparpillement, est tendance à la dissolution – ainsi le divorce, soit littéralement la dissolubilité du lien conjugal, est-il pour lui assimilable à la polygamie, elle-même hypostase domestique de l’anarchie politique61 ; la tendance au monos, en revanche, est tendance naturelle à la juste conformité de ce qui est et de ce qui doit être, au maintien ou à la réappropriation de cette conciliation métaphysique première et dernière. Dans le monde social, la torsion entre ces deux pôles censés se confondre est une autre manière de qualifier une révolution ; la nécessité de leurs retrouvailles ne se nomme pas autrement qu’une restauration62. Un tel schème, qui rend subalternes les lois humaines dont il suffit d’observer le degré d’adéquation avec les lois divines – cette législation primitive63 révélée une fois pour toutes à la créature et consignées ad infinitum dans le Décalogue –, semble reléguer par avance la légitimité constitutionnelle prônée par Staël dans les limbes du non-sens historique. Rappelons comment elle présente, dans le chapitre éponyme, « ce qui constitue la royauté légitime64 » :

La légitimité, telle qu’on l’a proclamée nouvellement, est donc tout à fait inséparable des limites constitutionnelles. Que les limites qui existaient anciennement en France aient été insuffisantes pour opposer une barrière aux empiètements du pouvoir, qu’elles aient été graduellement enfreintes et oblitérées, peu importe : elles devraient commencer d’aujourd’hui, quand on ne pourrait prouver leur antique origine65.

Et un peu plus loin, parlant des « principes des amis de la liberté » : « nous avons certainement pour nous la raison de tous les temps, ce qui ne laisse pas d’être une légitimité comme une autre66 ». Sans trop forcer l’exégèse en juxtaposant des formules isolées, il semblerait bien que les deux adversaires n’aient défendu ici des convictions aussi antithétiques que paradoxalement proches. Antagonistes lorsque l’une brandit fièrement la Charte là où l’autre sous-entend son inanité ; antagonistes également dans l’« aujourd’hui » radieux de la première, balayant les ténèbres du passé caduc dont le second fait son étendard. Mais curieusement proches lorsque Germaine de Staël, en posant la question du caractère constitué de l’ancienne France pour répondre par la négative67, et déclenchant le tir de barrage bonaldien qu’on a vu, admet bel et bien implicitement une acception identique du concept – ce qui autorise, précisément, la discussion. Sa déploration des « limites insuffisantes » de jadis n’implique pas que le pouvoir doive être ontologiquement entravé dans son exercice ; elle rappelle bel et bien des bornes suprêmes qui garantissent une sage gouvernance, celles précisément que Bonald assigne au pouvoir absolu tandis que le pouvoir arbitraire se déroberait à elles – lois fondamentales, Parlements et Cours souveraines en langage juridique, responsabilité devant Dieu et devant les sujets scellée par le serment du sacre en termes moraux, n’ont pas d’autre rôle dans la théorie bonaldienne. Cela ne réconcilie nullement, il est vrai, deux appréhensions inconciliables du constitionnalisme ; mais là encore, au-delà des partis-pris évidents, rappelons que Staël invoque « les faits de l’histoire de France », qui, « bien loin de servir d’appui à la doctrine que nous combattons, confirment l’existence d’un pacte primitif entre la nation et les rois » ; « autant que la raison humaine en démontre la nécessité68 », ajoute-t-elle certes. Or, voici la formulation par laquelle Bonald réitère régulièrement les fondements de son anticontractualisme : « comment des familles toutes hier indépendantes les unes des autres », feint-il de se demander, « des hommes jusque-là étrangers les uns aux autres, purent-t-ils reconnaître des maîtres ? Fut-ce l’effet de la force ou le résultat d’un contrat ? Ni l’un ni l’autre. L’établissement du pouvoir public ne fut ni volontaire, ni forcé, il fut nécessaire, c’est-à-dire conforme à la nature des êtres en société ; et les causes et l’origine en furent toutes naturelles69 ».

Ne faisons pas dire aux morts davantage qu’ils n’ont dit : ce serait encourir d’endosser le reproche qu’on fit à Bonald pour l’épisode. La « nécessité » staëlienne, ici pratique et pragmatique, n’est pas synonyme de la nécessité bonaldienne, principe de causalité transcendante qui organise l’univers selon une espèce d’arithmétique théologique. Pas plus que les « familles » invoquées dans cette fable du passage de l’état primitif à l’état social ne prennent chair en-dehors du raisonnement heuristique qu’elles servent, et dont, in fine, la volonté humaine se voit évacuée. Ce dernier point mériterait cependant d’être creusé. Travail de l’« invincible nature » qui, chez le vicomte, reprend toujours ses droits70, charge plus ardue que la baronne confie aux « amis de la liberté », quelle est réellement la part que chacun accorde à l’homme dans la conquête ou la reconquête de sa destinée ? La réponse, qui n’a pas sa place ici, et qui du reste ne saurait être tranchée, réside peut-être en partie dans d’autres divergences et d’autres convergences, à leur tour cristallisées, sans doute, dans leur lecture et leur interprétation respectives de celui qui fut leur aîné avec ou contre leur gré, soit encore et toujours Jean-Jacques. Mais il faudrait pour cela se hasarder sur les chemins escarpés du dogme de la perfectibilité humaine, ce qui est une autre aventure.

« On peut être modéré avec des opinions extrêmes », aimait à dire Bonald non sans insinuer qu’il peignait là son propre portrait71. On pourrait ajouter, pour y juxtaposer celui de Madame de Staël, qu’elle fut le vivant exemple d’une femme enthousiaste au nom de la modération. Autre jeu de miroir qui, suggérant une antinomie de caractère, appellerait à d’autres synthèses ; l’Aveyronnais ne fut pas toujours aussi modéré qu’il le prétendait dans la défense de ses principes, et la liberté au service de laquelle la fille de Necker mit sa plume tenait moins d’un amour tiède que d’une passion brûlante, en témoigne l’apothéose qui termine ses Considérations72 sur le ton d’un hymne.

Du tournoi de 1818, on peut retenir un autre chiasme, un de plus parmi la liste qui s’est dressée au fil de ce bref état des lieux : au Monna, on vénère cet ordre duquel seul la liberté peut procéder et au sein duquel seul elle peut prétendre à l’existence ; à Coppet, on vénère cette liberté chérie, seule matrice de tout ordre humain possible. Avec comme conjonction entre les deux termes une même tangence, celle de la morale et de la vertu. Et, on ne peut le nier, un propos commun, celui de résoudre la violence partisane et de conjurer les excès de la Révolution – que Bonald condamne alors comme un bloc, ce qu’il n’a pas toujours fait, et que Staël n’absout pour sa part jamais pour autant dans sa dérive jacobine –, pour proposer deux idéaux, utopiques sans doute, de concorde sociale retrouvée, ou plutôt à retrouver un jour.

Comment comprendre, dès lors, la virulence de la contre-attaque bonaldienne, dont on ne saurait nier l’âpreté ? Par les doutes, peut-être, qu’il n’a cessé d’exprimer quant à la paternité de l’ouvrage staëlien, dans le contexte tumultueux de sa publication. Doutes dont on sait qu’il ne fut pas le seul à les concevoir, le texte n’ayant pu être revu par son auteur et la question des ultimes corrections du manuscrit ayant longtemps nourri les débats. Bonald cependant avoue dans le même temps que là n’est pas le véritable problème posé par celle avec qui il avait devisé plus d’une fois dans le salon de Pauline de Beaumont ; le venin dont il redoutait, dans ses lettres à Madame de Sèze, la propagation pandémique, ne fait pas à rebours de Madame de Staël un basilic mortel. Sa hantise d’une conspiration politico-éditoriale, à l’heure où il se prépare à en découdre frontalement avec une opinion libérale commençant à peser dans le jeu politique, révèle sa juste appréciation de l’usage que le parti incriminé ferait des Considérations : celui d’un véritable bréviaire. Comme il le dit lui-même, ce n’est pas l’auteur qu’il a tenté de pourfendre, ni même véritablement l’œuvre, mais l’interprétation et l’appropriation qu’en faisaient déjà certains. D’où la vision souvent caricaturale qu’il en donne, puisqu’il la peint moins qu’il n’en prédit la réception ; d’où aussi l’outrance de sa réponse, qui apparaît moins comme un résumé de sa pensée politique que comme un brûlot intempestif, une succession d’assertions rétrogrades tranchant avec le ton docte des longues dissertations auquel son écriture nous avait habitués. Les Observations sont certes de Bonald, mais d’un Bonald qui s’est volontairement ramassé au risque de s’appauvrir et, à son tour, de présenter sa propre caricature : c’est qu’il ne souhaitait pas rédiger un texte de doctrine – cela lui eût en effet pris un peu plus de temps – ni même une réfutation – cela eût pris un peu plus de pages, il l’a assez avoué –, mais opposer à ce programme du parti libéral un manifeste de l’ultracisme. Cela excuse-t-il les faiblesses du livre, en minimise-t-il la charge réactionnaire ? Ce n’est pas à nous d’en juger. Une chose en revanche est certaine : on comprend mieux pourquoi la postérité, si friande de simplifications manichéennes, a tenté d’en faire la quintessence de la doctrine bonaldienne alors qu’elle n’en était que l’accident. C’est certes bien à tort qu’on en ferait une époque.

1 Cf. Goldzink, Jean et Gengembre, Gérard, Madame de Staël, la femme qui osait penser, Paris, Classiques Garnier, 2017.

2 Bonald, Louis de, Observations sur l’ouvrage ayant pour titre : Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, par Mme la

3 Sur la réception bonaldienne des Considérations, voir Gengembre, Gérard, « Un roman sur la politique et la société ou Bonald lecteur de Madame de 

4 « La France avait-elle une constitution ? », op. cit., p. 609 sq.

5 La vraie Révolution. Réponse à Madame de Staël, éd. Michel Toda, Étampes, Clovis, 1997.

6 Considérations sur la Révolution française, s.l., Norik ebooks, 2018.

7 Lettres à Joseph de Maistre, éd. M. Toda, Étampes, Clovis, 1997.

8 Lettres inédites du Vicomte de Bonald à Madame Victor de Sèze, éd. Henri Moulinié, Paris, Alcan, 1916.

9 Pensées sur divers sujets et discours politiques, Paris, Leclère, 1817.

10 Recherches philosophiques sur les premiers objets des connaissances morales, Paris, Leclère, 1818.

11 Mélanges littéraires, politiques et philosophiques, Paris, Leclère, 1819.

12 Archives du Monna.

13 Lettres inédites…, op. cit., p. 47.

14 Ibid., p. 50.

15 Ibid., p. 53-54.

16 Ibid., p. 61.

17 En l’occurrence Marignié, qui avait précisément servi d’intermédiaire entre Bonald et Necker lorsque le premier, émigré puis vivant clandestinement

18 Op. cit., p. 61-62.

19 Lettres à Maistre, op. cit., p. 108.

20 Staël, Germaine de, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, dans La passion de la liberté, éd. Michel Winock

21 Bonald, Louis de, Observations…, op. cit., p. 600.

22 Pensées, op. cit., p. 1297.

23 Staël, Germaine de, op. cit., p. 318.

24 Ibid., p. 320.

25 Ibid., p. 469.

26 Bonald, Louis de, Observations…, op. cit., p. 605.

27 Ibid., p. 624.

28 Ibid., p. 602-603.

29 Ibid., p. 610-611.

30 Voir notamment les Staëllania…, Paris, Librairie politique, 1820, p. 109, ainsi que la version qu’en donne Bonald lui-même dans ses Observations

31 Staël, Germaine de, op. cit., p. 322.

32 Ibid., p. 381.

33 Ibid., p. 419 sq.

34 Ibid., p. 477 sq.

35 « Ah ! l’on ne peut transporter ses dieux pénates dans les foyers des étrangers » (ibid., p. 479). Bonald exprime précisément une vision opposée

36 Staël, Germaine de, op. cit., p. 652 sq.

37 Ibid., p. 654.

38 Ibid., p. 683.

39 Ibid., p. 694. Pour les opinions de Bonald sur la question, voir ses discours, op. cit.

40 « Ainsi, qu’on ne s’y trompe pas, toutes ces grandes admirations pour la constitution anglaise, ce grand étalage de principes de liberté et d’

41 Voir le chapitre « De Bonaparte », ibid., p. 636 sq.

42 Ibid., p. 607, image reprise p. 659.

43 Ibid., p. 657.

44 Ibid., p. 615.

45 Ibid., p. 647.

46 Staël, op. cit., p. 713.

47 Ibid.

48 Ibid., p. 606.

49 Bonald, Louis de, op. cit., p. 594.

50 Staël, Germaine de, op. cit., p. 408.

51 « Que sont en effet toutes les sciences auprès de la science de la société ? Et qu’est l’univers lui-même, si on le compare à l’homme ? » (Théorie

52 L’opposition chère à Bonald entre force morale et force physique n’est pas sans rappeler celle qu’établit la fille de Necker, op. cit., p. 420.

53 « Résumé des principes de M. Necker en matière de gouvernement », ibid., p. 605 sq.

54 Ibid.

55 Ibid., p. 607.

56 Cf. supra, n. 18.

57 Bonald, Louis de, op. cit., p. 627.

58 Ibid.

59 Pensées, op. cit., p. 1315.

60 « De l’état légitime et de l’état légal de la société et de la législation », Gazette de France,13 mars 1838.

61 Nous nous permettons de renvoyer à notre texte : Bertran de Balanda, Flavien, « Louis de Bonald et la question du divorce, de la rédaction du Code

62 Suite du passage précédent : « Une société parvenue à cet état est dans sa plus grande force de stabilité ; et si elle éprouve une révolution, elle

63 Au-delà du titre de l’ouvrage de 1802, nous rappelons ici les grands axes de la pensée juridique de Bonald.

64 Staël, Germaine de, « De ce qui constitue la royauté légitime », op. cit., p. 649 sq.

65 Ibid., p. 650.

66 Ibid., p. 677.

67 « Y avait-il une Constitution en France avant la Révolution ? », ibid., p. 355 sq.

68 Ibid., p. 651-652.

69 Bonald, Louis de, Démonstration philosophique du principe constitutif de la société, Paris, Leclère, 1830, repris dans Migne, I, p. 1 sq., ici p. 

70 Adage rousseauiste que Bonald reprend régulièrement.

71 Pensées, op. cit., p. 1377.

72 Staël, Germaine de, « De l’amour de la liberté », ibid., p. 798 sq.

1 Cf. Goldzink, Jean et Gengembre, Gérard, Madame de Staël, la femme qui osait penser, Paris, Classiques Garnier, 2017.

2 Bonald, Louis de, Observations sur l’ouvrage ayant pour titre : Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, par Mme la baronne de Staël, Paris, Leclère 1818 ; repris dans Œuvres complètes, Paris-Montrouge, Migne, 1859-1864, t. II, p. 593 sq. Sauf mention contraire, les références à Bonald renvoient à cette édition.

3 Sur la réception bonaldienne des Considérations, voir Gengembre, Gérard, « Un roman sur la politique et la société ou Bonald lecteur de Madame de Staël », Europe, n° 693-694, 1987, p. 89-100 ; Tribouillard, Stéphanie, Le tombeau de Madame de Staël. Les discours de la postérité staëlienne en France (1817-1850), Genève, Slatkine, 2007, p. 10-131.

4 « La France avait-elle une constitution ? », op. cit., p. 609 sq.

5 La vraie Révolution. Réponse à Madame de Staël, éd. Michel Toda, Étampes, Clovis, 1997.

6 Considérations sur la Révolution française, s.l., Norik ebooks, 2018.

7 Lettres à Joseph de Maistre, éd. M. Toda, Étampes, Clovis, 1997.

8 Lettres inédites du Vicomte de Bonald à Madame Victor de Sèze, éd. Henri Moulinié, Paris, Alcan, 1916.

9 Pensées sur divers sujets et discours politiques, Paris, Leclère, 1817.

10 Recherches philosophiques sur les premiers objets des connaissances morales, Paris, Leclère, 1818.

11 Mélanges littéraires, politiques et philosophiques, Paris, Leclère, 1819.

12 Archives du Monna.

13 Lettres inédites…, op. cit., p. 47.

14 Ibid., p. 50.

15 Ibid., p. 53-54.

16 Ibid., p. 61.

17 En l’occurrence Marignié, qui avait précisément servi d’intermédiaire entre Bonald et Necker lorsque le premier, émigré puis vivant clandestinement à Paris, faisait parvenir ses ouvrages au second, qui ne manquait pas de l’en remercier.

18 Op. cit., p. 61-62.

19 Lettres à Maistre, op. cit., p. 108.

20 Staël, Germaine de, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, dans La passion de la liberté, éd. Michel Winock, Paris, Robert Laffont, p. 293 sq., ici p. 303.

21 Bonald, Louis de, Observations…, op. cit., p. 600.

22 Pensées, op. cit., p. 1297.

23 Staël, Germaine de, op. cit., p. 318.

24 Ibid., p. 320.

25 Ibid., p. 469.

26 Bonald, Louis de, Observations…, op. cit., p. 605.

27 Ibid., p. 624.

28 Ibid., p. 602-603.

29 Ibid., p. 610-611.

30 Voir notamment les Staëllania…, Paris, Librairie politique, 1820, p. 109, ainsi que la version qu’en donne Bonald lui-même dans ses Observations, op. cit., p. 595-596.

31 Staël, Germaine de, op. cit., p. 322.

32 Ibid., p. 381.

33 Ibid., p. 419 sq.

34 Ibid., p. 477 sq.

35 « Ah ! l’on ne peut transporter ses dieux pénates dans les foyers des étrangers » (ibid., p. 479). Bonald exprime précisément une vision opposée, cf. son article « De l’émigration », Défenseur, juillet 1820.

36 Staël, Germaine de, op. cit., p. 652 sq.

37 Ibid., p. 654.

38 Ibid., p. 683.

39 Ibid., p. 694. Pour les opinions de Bonald sur la question, voir ses discours, op. cit.

40 « Ainsi, qu’on ne s’y trompe pas, toutes ces grandes admirations pour la constitution anglaise, ce grand étalage de principes de liberté et d’égalité politiques, et d’opinions prétendues libérales, ce zèle si ardent pour les constitutions libres, qui ont tout à coup saisi tant de personnes qui s’arrangeaient assez bien des constitutions un peu moins libres de Bonaparte, ne sont que des mots » (Observations, op. cit., p. 639-640).

41 Voir le chapitre « De Bonaparte », ibid., p. 636 sq.

42 Ibid., p. 607, image reprise p. 659.

43 Ibid., p. 657.

44 Ibid., p. 615.

45 Ibid., p. 647.

46 Staël, op. cit., p. 713.

47 Ibid.

48 Ibid., p. 606.

49 Bonald, Louis de, op. cit., p. 594.

50 Staël, Germaine de, op. cit., p. 408.

51 « Que sont en effet toutes les sciences auprès de la science de la société ? Et qu’est l’univers lui-même, si on le compare à l’homme ? » (Théorie du Pouvoir, Migne, I, p. 123-124).

52 L’opposition chère à Bonald entre force morale et force physique n’est pas sans rappeler celle qu’établit la fille de Necker, op. cit., p. 420.

53 « Résumé des principes de M. Necker en matière de gouvernement », ibid., p. 605 sq.

54 Ibid.

55 Ibid., p. 607.

56 Cf. supra, n. 18.

57 Bonald, Louis de, op. cit., p. 627.

58 Ibid.

59 Pensées, op. cit., p. 1315.

60 « De l’état légitime et de l’état légal de la société et de la législation », Gazette de France, 13 mars 1838.

61 Nous nous permettons de renvoyer à notre texte : Bertran de Balanda, Flavien, « Louis de Bonald et la question du divorce, de la rédaction du Code civil à la loi du 8 mai 1816 », Histoire, Économie & Société, 3/2017, p. 72-86.

62 Suite du passage précédent : « Une société parvenue à cet état est dans sa plus grande force de stabilité ; et si elle éprouve une révolution, elle trouve en elle-même et dans ses propres forces le principe et les moyens de sa restauration », Pensées, ibid.

63 Au-delà du titre de l’ouvrage de 1802, nous rappelons ici les grands axes de la pensée juridique de Bonald.

64 Staël, Germaine de, « De ce qui constitue la royauté légitime », op. cit., p. 649 sq.

65 Ibid., p. 650.

66 Ibid., p. 677.

67 « Y avait-il une Constitution en France avant la Révolution ? », ibid., p. 355 sq.

68 Ibid., p. 651-652.

69 Bonald, Louis de, Démonstration philosophique du principe constitutif de la société, Paris, Leclère, 1830, repris dans Migne, I, p. 1 sq., ici p. 47.

70 Adage rousseauiste que Bonald reprend régulièrement.

71 Pensées, op. cit., p. 1377.

72 Staël, Germaine de, « De l’amour de la liberté », ibid., p. 798 sq.