Dresser le bilan de la recherche fait partie des rites qui scandent toute commémoration officielle d’œuvres ou d’auteurs. L’occasion s’y prête idéalement, qui profite de l’exceptionnel coup de projecteur des anniversaires pour mettre en lumière les pistes explorées par les universitaires et celles qu’il reste à défricher. Force est pourtant de constater que les études staëliennes dérogent singulièrement à cette tradition. S’il revient à la comtesse Jean de Pange d’avoir réuni pour la première fois, le 29 janvier 1929, un groupe pour lequel elle « invente le qualificatif de ‘staëlien’ : c’est un néologisme, mais tant pis1 ! », la création de la Société des études staëliennes, aujourd’hui presque centenaire, ne s’accompagne pas de la publication systématique d’états des lieux scientifiques. On ne compte en effet, à ce jour, que deux documents2 assumant cette fonction : l’un portant sur les travaux consacrés au Groupe de Coppet, à l’initiative de Patrice Thomson3, l’autre plus spécifique, « Le dossier Staël4 », sous la plume de Simone Balayé. Tous deux, déjà anciens – 1977 et 1978 –, répondent à un double objectif : récapitulatif, puisqu’ils retracent le chemin déjà parcouru dans l’étude de Staël et celle de Coppet, mais aussi polémique tant il importe alors de dégager les corpus concernés de ce que S. Balayé appelle « le poids de certains préjugés […] qui [ont] longtemps occulté et occulte[nt] encore la connaissance d’une œuvre pourtant remarquable5 ». Explicitée par le titre – parler de « dossier Staël » rappelle stratégiquement les combats requis pour désarmer le tribunal de l’opinion –, cette ambivalence explique pour une grande part la rareté des bilans scientifiques en la matière. La persistance des obstacles, culturels et idéologiques, a si longtemps problématisé la constitution-même de l’objet staëlien6 qu’il importait prioritairement de le faire exister.
Tel fut donc l’objectif du premier cycle des études staëliennes : introniser scientifiquement Staël, grâce à l’appui d’une Société et d’une revue désormais annuelle7, ce qui supposait aussi de la rendre accessible aux lecteurs. Les éditions constituent dès lors une priorité tant l’intégralité du corpus, cantonné aux Œuvres complètes de 1821, à la fois datées et censurées par Auguste de Staël8, attendait « l’édition critique qu’ell[e] mérite9 ». L’établissement de la Correspondance générale, lancée en 1960 par Béatrice W. Jasinski, relève de la même ambition : offrir la visibilité la plus précise et la plus complète à l’existence staëlienne, tant pour sa propre connaissance que pour celle de l’histoire européenne dont elle représente la mémoire indispensable10. L’enjeu éditorial importe d’autant plus que les textes de Staël suscitent, entre 1960 et 1990, un intérêt accru et dont le caractère pluridisciplinaire – les travaux se multiplient dans le champ critique11, politique12, génétique13 et esthétique14 – lui confère désormais une dimension scientifique. L’œuvre staëlienne, devenue par étapes un corpus15 qui plus est resitué positivement dans l’histoire des idées16, acquiert dès lors un statut officiel, emblématisé par l’inscription de Corinne ou l’Italie au programme de l’agrégation en 199917 et confirmé cette année par l’entrée de son œuvre dans la Bibliothèque de la Pléiade, à l’initiative de Catriona Seth18. Cet éclairage se prolonge, depuis presque trente ans, sur la scène internationale : les études américaines pionnières, à l’image de celle de Madelyn Gutwirth19, ont permis à Staël de rayonner par-delà nos frontières tandis que la recherche allemande, notamment incarnée par Anne Amend-Söchting20, Julia Von Rosen21 et Stefan Knödler22, lui ouvrait les perspectives romanistiques. De nouvelles générations de chercheurs en histoire des idées23, « études féminines24 », rhétorique25 ou sociologie26 ont achevé de consolider les études staëliennes, tout en élargissant leurs contours grâce à l’intérêt suscité par les trajectoires de Jacques et Suzanne Necker27. Rééditée, consacrée, éclairée grâce aux travaux incontournables de la comtesse Jean de Pange et Simone Balayé, l’œuvre staëlienne semble désormais protégée de la « méconnaissance28 » qui la menaçait en 1978.
De nouvelles difficultés surgissent cependant, qui tiennent à la manière même dont ce savoir s’est constitué. Trois concepts en résument les spécificités, qui fragilisent paradoxalement le territoire scientifique dont ils ont d’abord permis la naissance : l’héritage familial, l’archive et la spécialisation. Les études staëliennes ont en effet pour particularité de naître à l’initiative des proches29. Le comte d’Haussonville, premier spécialiste de Suzanne Necker30, Béatrix d’Andlau, la comtesse Jean de Pange et plus récemment Othenin d’Haussonville, auteurs d’études décisives, appartiennent tous à la lignée des descendants. Leur vocation scientifique peine dès lors à se départir d’une mémoire familiale d’autant plus problématique qu’elle a initialement freiné les investigations ou mal compris le dessein de transformer une généalogie personnelle en objet de recherche : « Il faut du temps […] pour que la famille me pardonne31 », confesse en 1929 la fondatrice de la Société. Construction d’une postérité sélective, réticences pudiques et enchevêtrement des souvenirs, les obstacles ne manquent pas qui problématisent la proximité familiale et exigent d’elle le courage, éminemment staëlien, d’analyser son propre parcours en étranger. Une nouvelle page s’ouvre dès lors en 1980, avec Simone Balayé. Exogamique, son parcours l’autorise à parcourir sans cas de conscience un territoire auquel elle n’appartient que par passion. S’ouvre alors la page décisive des explorations d’archives. « Simone Balayé était avant tout une historienne32 », rappelle Jean-Pierre Perchellet. Cette passion de l’investigation, conjuguée à sa fonction de bibliothécaire33, lui permet un remarquable travail d’exhumation : de l’objet Staël, devenu plus visible que jamais sous sa présidence, de textes rares34 ou de manuscrits déterminants pour la connaissance de la trajectoire staëlienne35, sans oublier les œuvres génétiquement problématiques, à l’image de Dix années d’exil dont S. Balayé propose en 1996 une édition de référence36. Son ancrage disciplinaire, comme le souligne G. Gengembre, relève de « l’histoire littéraire37 » : relier l’œuvre à son contexte, esthétique et idéologique, reconstituer sa réception et s’intéresser aux « modes d’inscription de l’historique, du politique et du social38 », autant de pistes déterminantes, mais qui privilégient les défis factuels de la postérité staëlienne. Les angles morts de son parcours comme ceux de cette période que S. Balayé est la première à appeler « sans nom39 », ne dissocient pas la réévaluation de la place attribuée à Staël du document. Cette importance de l’archive caractérisait déjà l’ouvrage fondateur de Pierre Kohler, Madame de Staël et la Suisse, publié en 191640. L’abondance des correspondances, des témoignages et des papiers sollicités font de ce livre une somme indépassable, voire le terminus a quo des études staëliennes modernes41 alors même que ses analyses, biographiques, politiques ou littéraires, ne correspondent plus à la lecture dont bénéfie l’œuvre de Staël aujourd’hui. L’archive se révèle donc un instrument particulièrement ambigu pour les études staëliennes : elle les fonde et les constitue, mais les confine aussi dans un champ factuel qui ne doit pas les empêcher de solliciter d’autres méthodes de recherche. À n’en rester qu’à l’histoire littéraire ou à l’analyse du document, on s’expose au brouillage des genres et au risque de délaisser l’interprétation de l’œuvre au profit du contexte ou de la seule fascination pour l’inédit. S. Balayé le diagnostique elle-même, qui énumère l’ensemble des problématiques, relevant cette fois des sciences humaines, encore inabordées lors du bilan qu’elle dresse en 1978 :
Les rapports de l’art et de la morale dans les arts, les lettres (les romans en particulier) ne sont guère étudiés, non plus que les bases philosophiques de sa pensée, dans ces domaines comme dans d’autres. En psychocritique, tout est à faire. De même, les études de stylistique, de linguistique, sémiotique et sémiologie, sont inexistantes42.
Encore fallait-il que ces champs disciplinaires, une fois ouverts, ne segmentent pas l’œuvre staëlienne. L’immensité de la tâche à accomplir, pour les chercheurs d’alors, menaçait en effet de fragmenter un corpus alternativement réhabilité pour sa portée idéologique, esthétique ou « féministe ». De la revalorisation du libéralisme staëlien à la mise en lumière des réticences biographiques43 qui singularisent une œuvre pourtant héritière de Rousseau, en passant par l’aporie de la « femme philosophe » diagnostiquée par Florence Lotterie44, l’approfondissement des études staëliennes s’est accompagné d’un éclatement des perspectives peut-être préjudiciable à la cohérence de l’œuvre comme à l’hypothèse même de son existence. Staël est-elle une théoricienne du politique, une romancière, une dramaturge ou une historienne ? La question n’est évidemment pas nouvelle qui s’adresse, avant elle, aux corpus constitutivement composites de « l’homme de lettres » rêvé par les Lumières. Rousseau et Diderot, d’abord jugés inclassables, puis déficients par excès d’hétérogénéité, ont eux-mêmes bénéficié ensuite de lectures à la fois « complètes45 » et soucieuses de restituer une logique qui subsume la diversité de leurs voix et de leurs registres. Colas Duflo s’en explique pour Diderot :
… qu’il s’agisse de comprendre l’anthropologie philosophique, la philosophie politique, l’esthétique ou même les raisons des choix de certaines formes d’écriture chez Diderot, chacune de ces approches dispersées révèle chaque fois l’unité d’une philosophie et ne prend son sens plein que replacé dans ce tout. Il y a une pensée de Diderot, qui se révèle dans tous les aspects de son œuvre et qui lui donne une forte cohérence interne46.
Jean-François Perrin rappelle lui aussi, dans sa lecture de Rousseau, l’impossible séquence d’un corpus structuré par une même pensée, dût-elle se décliner en plusieurs langues esthétiques :
Impossible également de le lire sans voir apparaître à toutes les échelles textuelles […] une sorte de dialectique du fictionnel et du théorique liée à la dimension conjecturale de sa pensée autant qu’au caractère romanesque de son approche du monde : partout, il écrit en penseur et pense en écrivain47.
Staël, cependant, ne bénéficie pas d’une semblable « compréhension générale48 ». S. Balayé a bien proposé en 1979, avec Lumières et liberté, le modèle inédit d’une « biographie intellectuelle49 », par principe traversante dans sa recherche d’idées-forces qui structurent l’existence staëlienne. Mais les coupes opérées, comme la relation ambivalente établie entre la vie et l’œuvre, empêchent de lire dans cet ouvrage la « lecture complète » dont ce corpus avait besoin50. Staël nous montre pourtant elle-même la voie en inventant, dès ses Lettres sur Rousseau, ce que Jean Starobinski appelle « un trajet51 » : une dialectique d’adhésion et de distance lucide qui trace sa propre « route52 » à l’intérieur d’un corpus envisagé comme une totalité. Lire Rousseau requiert, sous la plume de Staël, l’immersion au sein d’un paysage qui ne distingue pas les différentes facettes de l’œuvre ni l’élan intellectuel de l’existence. L’École de Genève, qui a fait de ces massifs textuels son terrain d’élection, a bien identifié chez elle, comme S. Balayé l’a montré53, le modèle de sa propre relation à l’œuvre54. Reste que ses travaux semblent aujourd’hui datés et exhaustifs alors que « Le dossier Staël » invitait, dès 1978, à « approfondir le système critique de Mme de Staël55 ».
Il y a plusieurs manières de le faire, mais c’est à l’évidence ce sillon, et le redécoupage des corpus dont il s’accompagne, qui inaugure le second cycle des études staëliennes. Ce dernier s’appuie moins sur un changement de générations que sur une mutation du paradigme de lecture. Au risque d’en simplifier le mouvement, on pourrait dire que la recherche staëlienne passe des savoirs compartimentés au régime de la « désappartenance56 ». Que faut-il entendre par là ? Un décloisonnement progressif de l’œuvre, qui renonce à la stricte spécialisation disciplinaire et aux frontières génériques pour analyser des problématiques transversales. Le corpus staëlien y désigne une unité, à la fois cohérente et théorisée comme telle, non qu’il s’agisse de construire un « système57 », mais d’envisager la dynamique d’une pensée affranchie des distinctions arbitraires de genres ou de registres. Staël n’ignore évidemment pas les spécificités, notamment sexuées, qui régissent à son époque le partage des tribunes d’écriture. Elle choisit pourtant d’en contourner les règles pour inventer, à chaque étape de sa carrière, une langue affranchie. Critique58, théorie, morale, imagination, histoire, souvenirs même59 s’entrelacent pour brouiller les contours d’un corpus délibérément inclassable : des Lettres sur Rousseau aux Considérations sur la Révolution française une même voix, inassignable, mêle réflexion, récit, mémoire, analyse et fiction. Cette polyphonie n’a pas échappé aux chercheurs qui ont déployé, face à la singularité d’une œuvre aussi rétive à la captivité60, une lecture inclusive ou privative, autrement dit capable d’interpréter comme un choix philosophique ce que la critique diagnostiquait comme un manque61 : ainsi le chevauchement des voix narratives, où Marie-Claire Vallois identifie une « résistance au discours confidentiel62 » à l’aide d’une hypothèse qu’elle étend à l’ensemble du corpus fictionnel, y compris « les premières nouvelles63 » ou « la poétique de la dispersion64 » analysée, sous la plume de Pierre Macherey, comme une faculté médiatrice seule capable de déclencher la circulation des identités et des cultures, qui n’échangent jamais que leurs insuffisances :
Les singularités d’une culture, se révélant à travers ses défauts et ses manques, qui l’inachèvent dans son ordre propre, suggèrent du même coup les apports, nécessairement extérieurs, dont elle a besoin pour se développer et se compléter65.
Cette trace « négative66 », qui problématise chez Staël aussi bien la personnalité que la nationalité ou les contours de l’œuvre, constitue la signature d’une pensée dont P. Macherey rappelle qu’elle engage l’être entier et non un registre particulier de l’écriture :
Mme de Staël a vécu ses idées dans la mesure où celles-ci étaient issues de sa vie même, c’est-à-dire de la condition qui lui avait été faite par sa naissance et par les circonstances. Or elle a réfléchi cette condition en utilisant les formes complémentaires mais aussi concurrentes, de la fiction romanesque et de la spéculation théorique, comme elle en a également nourri ses propres aventures personnelles67.
Une telle lecture, inclusive mais non systématique dès lors qu’elle souligne une cohérence paradoxalement fondée sur des lacunes, inaugure une réinterprétation de l’œuvre staëlienne. Métaphysique ou « épistémologique68 », pour reprendre une catégorie récemment mobilisée par Bertrand Binoche, elle valorise, grâce à un déplacement des questionnements, la profondeur philosophique du corpus. Giovanni Paoletti, qui interroge ainsi «la portée cognitive69 » des fictions chez Staël, ou Ayze Yuva réfléchissant aux modalités de l’agir dans De la littérature et De l’Allemagne70, diversifient fructueusement les problématiques et mettent en lumière la dimension métaphysique d’une œuvre qui pense la connaissance et plus généralement la transmission, celle des savoirs ou des héritages71.
La recherche staëlienne gagne ici une double déterritorialisation : de son corpus, envisagé comme une libre cohérence, et de ses méthodes d’analyse, désormais étendues à l’ensemble des sciences humaines et capables de mettre en lumière, chez Staël, l’exercice de la pensée. Cette nouvelle échelle fait surgir des problématiques transversales, qu’elles affectent plusieurs générations ou envisagent les nœuds universels de la geste humaine. Elle réactive simultanément la conception inclusive de la littérature, définie dans une célèbre page en 180072, et la vocation anthropologique d’une œuvre au service de l’exploration de l’âme et qui fait sienne la maxime de Pope citée dans la préface de Delphine : « The noblest study of mankind is man73 ». En témoigne, et qui constitue une étape majeure du renouveau de la critique staëlienne, l’ouvrage publié en 2013 par Catherine Dubeau. Intitulé La Lettre et la mère. Roman familial et écriture de la passion chez Suzanne Necker et Germaine de Staël74, il invente à la fois un questionnement – analyser « les scansions d’un lien passionnel75 » –, une langue scientifique – la conjonction de « la psychanalyse littéraire et de la sociologie de la littérature76 » – et un corpus, réunissant les ouvrages de S. Necker à ceux de sa fille et à l’intérieur même du champ staëlien, les romans, les traités et les œuvres dramatiques. Ce stimulant redécoupage, joint à un déplacement des questionnements, éclaire sous un jour inédit l’œuvre staëlienne : ses ressorts créateurs, comme sa vision de l’homme, remontent aux origines de la famille, aux racines et aux motifs inconscients qui déterminent la genèse de l’écriture. La démarche pionnière de C. Dubeau a directement inspiré la nôtre dans La Chambre noire. Germaine de Staël et la pensée du négatif. Centré exclusivement sur Staël, cet essai vise à démontrer l’intérêt d’une « lecture complète77 » de cette œuvre, à la fois cohérente et dynamique puisqu’elle ne délivre qu’une connaissance négative de l’aventure humaine : la certitude que les passions nous agissent, comme individus et comme collectivités, transforme l’exercice du savoir en une passionnante aporie. Impossible de tout comprendre de la conduite aveugle du sujet, qu’il soit père, fils, ministre, personnage ou empereur ; reste en revanche le courage d’analyser ces contrejours de la raison et la nécessité de les affronter en mobilisant d’autres registres du savoir. Staël en offre l’exemple dans une quête qui mobilise toute son énergie et chacune des étapes de son existence. La Chambre noire approfondit, plus spécifiquement, la division du sujet et les enjeux cognitifs et métaphysiques de « la passion réfléchissante78 » : que signifie se prendre soi-même comme objet ? Quels ressorts psychiques cette lucidité mobilise-t-elle et comment repense-t-elle le rapport à soi-même, au pouvoir et à la création ? Il ne s’agit que d’une piste, que nous avons voulue psychanalytique et qui tente de restituer à Staël sa place dans une archéologie de l’inconscient. D’autres subsistent, qui nourrissent l’actuel renouveau des études staëliennes.
Le présent Cahier en témoigne : le second cycle de la recherche est bel et bien lancé et actif. Les travaux en cours, masters ou doctorats, prennent tous acte des nouvelles cartographies de l’œuvre79, comme de l’élargissement aux sciences humaines des problématiques envisagées80. Le temps des archives n’est donc plus prioritaire81 et hors le corpus théâtral, dont il n’existe à ce jour aucune nouvelle édition depuis 1821 et qui requiert, comme A. Hodroge a commencé à le faire, une exhumation de pièces inédites ou inconnues du public, l’analyse et l’interprétation constituent les principaux enjeux de la relecture présente du corpus. Le récent article publié par Cyrielle Peschet sur Staël épistolière82 illustre au mieux ce virage scientifique : la Correspondance générale, désormais achevée grâce au travail mené pendant 5 ans avec Jean-Daniel Candaux83, change désormais de statut. De matériau documentaire, à la fois biographique et historique, elle devient, une fois réunie, un corpus susceptible de susciter à son tour des recherches, sur le modèle des nouvelles perspectives dont les lettres de Sévigné ont récemment fait l’objet84. Le document, manuscrit, opuscule ou texte privé, reste donc un élément capital du savoir staëlien ; il ne constitue plus, en revanche, le principal moteur des recherches en cours. S’il faut considérer la génétique comme l’une de chantiers prospectifs des études staëliennes, c’est moins désormais pour révéler de nouveaux textes, même s’il en subsiste, que pour problématiser la notion d’œuvre chez Staël, comme Lucia Omacini le propose dans sa récente réédition des Considérations85. Une autre page s’ouvre dès lors, stimulante et qui promet la réinscription active de l’objet staëlien dans l’actualité des sciences humaines : la sociologie des émotions, la relation critique, l’histoire de la clinique86, la religion et la raison, autant de territoires à explorer et qui pourront, gageons-le, passionner les générations à venir. Ne leur léguons donc pas un programme déjà rigoureusement balisé : la recherche a plus que jamais besoin de liberté et d’audace. L’exigence seule importe, qui rappelle le caractère pluridisciplinaire des questionnements dont l’œuvre de Staël fait aujourd’hui l’objet et qui valorisent, omniprésente, sa puissance d’analyse.