Qu’est-ce qu’un bicentenaire réussi ? Il est encore trop tôt pour se prononcer sur celui qui s’achève, entraînant avec lui le millésime doublement commémoratif de 20171. Plusieurs indices s’imposent pourtant, qui témoignent que Staël a bénéficié, pour l’occasion, d’une réjouissante visibilité. Événementielle d’abord, grâce notamment à l’exposition « Germaine de Staël et Benjamin Constant. L’esprit de liberté » co-organisée par la Société des études staëliennes et l’Institut Benjamin Constant à la Fondation Martin Bodmer2. L’afflux de visiteurs, joint à l’importante couverture médiatique et culturelle, ont permis au plus grand nombre de découvrir le monde de Coppet et la complexité de la trajectoire, comme de l’œuvre staëliennes. Le catalogue de l’exposition3 donne lui aussi magnifiquement à voir cet univers et les résonances qui unissent, deux cents ans plus tard, les itinéraires de ces figures majeures du tournant des Lumières. Visibilité éditoriale ensuite, Staël ayant été mise à l’honneur par plusieurs rééditions4 qui vont progressivement élargir la sphère de ses lecteurs. Visibilité scientifique enfin, le bicentenaire s’accompagnant de parutions décisives pour les chercheurs5, parmi lesquelles les derniers tomes de la Correspondance générale, désormais complète grâce à Stéphanie Genand et Jean-Daniel Candaux6.
Le rayonnement staëlien semble donc à son comble et cet anniversaire serait un plein succès si les commémorations n’avaient pas aussi, ponctuellement, ressuscité les préjugés séculaires et les stéréotypes datés. Parler de Staël, soit ; mais encore faut-il prendre acte du renouveau de sa lecture, de la connaissance approfondie de sa biographie, du redécoupage des corpus, de « l’exercice de sa pensée7 », enfin, qui interdit aujourd’hui de passer sous silence son impressionnant esprit d’analyse. La recherche staëlienne a de fait considérablement évolué ces dernières années. La vitalité des « jeunes » doctorants, dont les Cahiers8 ont récemment montré le dynamisme, en est l’un des indices et il faut se réjouir, plus généralement, du renouveau des approches qui relient l’œuvre de Staël à l’actualité des sciences humaines. Le discours positif – ce que Staël a créé, son héritage, l’importance de ses analyses aussi bien esthétiques, morales que politiques – supplante ainsi progressivement le réquisitoire et l’éternelle énumération de ce qui lui a manqué ou de ce qu’elle « annonce ». Grâce aux générations de chercheurs, universitaires ou passionnés, qui nous ont précédés et travaillent, depuis 1929, à éclairer l’œuvre et la trajectoire staëliennes, une plus juste lecture s’impose désormais, qui permet à ce corpus d’occuper une place croissante dans l’histoire des idées.
L’exploration, l’investigation, la transmission : ces trois clés de la recherche, dont la Société des études staëliennes continue de faire sa priorité9, expliquent la double ambition, à la fois scientifique et humaine, de ce Cahier du bicentenaire. Intitulé « 1817-2017 : Générations Staël », il réunit plusieurs familles de chercheurs, plusieurs continents, plusieurs territoires. Aux spécialistes chevronnés il a été proposé, s’ils le souhaitaient, un exercice d’égo-critique en hommage au fameux geste inventé par Staël dans ses Lettres sur Rousseau et sur lequel, peut-être, tout n’a pas encore été dit. Leurs contributions, composant le volet « Retours », croisent l’analyse rétrospective et la réflexion sur l’actualité de Staël aujourd’hui. Ils sont précédés par trois études consacrées aux proches de Staël ou à son cercle méconnu – Necker, Albertine, J. Rocca. Les frontières s’y déplacent, comme les « horizons » s’élargissent grâce aux nouvelles pistes explorées par les jeunes chercheurs qui referment ce numéro. Il importait enfin que le Cahier staëlien n°67, publié en 2017, s’impose comme une référence scientifique. Renouveler les lectures, élargir les corpus, stimuler le travail des chercheurs : ces objectifs seront sans doute atteints grâce à l’impressionnante « bibliographie staëlienne (2006-2017) » établie par Aline Hodroge et Blandine Poirier, et au « bilan de la recherche actuelle sur Jacques et Suzanne Necker » proposé par Catherine Dubeau. Pour leur investissement généreux et leur immense travail, que toutes et tous soient ici chaleureusement remerciés. Rendez-vous en 2066 : au moment où nous commémorons la mort, qui sera aussi l’objet du XIe colloque de Coppet en 2018, la recherche staëlienne, elle, est bien vivante.