Écriture intime et ambivalence du deuil dans deux inédits de Jacques Necker : confortations against me et pour moi <her merits>

Catherine Dubeau

p. 13-43

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Catherine Dubeau, « Écriture intime et ambivalence du deuil dans deux inédits de Jacques Necker : confortations against me et pour moi <her merits> », Cahiers Staëliens, 67 | 2017, 13-43.

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Catherine Dubeau, « Écriture intime et ambivalence du deuil dans deux inédits de Jacques Necker : confortations against me et pour moi <her merits> », Cahiers Staëliens [En ligne], 67 | 2017, mis en ligne le 15 avril 2019, consulté le 14 octobre 2024. URL : https://cahiersstaeliens.edinum.org/154

La nature, par des lois mystérieuses, semble avoir mis notre bonheur sous la dépendance d’une multitude innombrable de pensées intimes et d’agitations secrètes dont nous connoissons seuls l’empire ou le tumulte.
Jacques Necker, « De l’union conjugale », Cours de morale religieuse (1800)1

Les manuscrits que nous présentons ici (voir l’appendice) ont été retrouvés dans les archives de Jacques Necker, au sein d’un dossier préparé par les soins du comte d’Haussonville au plus tôt en 2006, et auquel il a donné le titre Réflexions de Necker après la mort de sa femme2 . Chaque texte apparaît en deux versions : un brouillon autographe de Necker est suivi d’une version au propre, vraisemblablement retranscrite par un secrétaire3. Necker a eu recours à des secrétaires distincts pour l’un et l’autre texte puisque les calligraphies diffèrent. Pour la présente édition, nous avons transcrit les manuscrits à partir des versions finales et donné, en notes, l’ensemble des variantes apparaissant dans les brouillons.

Curieusement intitulés Confortations against me et Pour moi <her merits> 4, ces textes ne sont pas entièrement inédits : de très brefs fragments en ont été cités ou simplement mentionnés dans quelques ouvrages5, mais à notre connaissance aucune édition intégrale, encore moins critique, n’en a été faite. Il nous paraissait d’autant plus important de pallier cette lacune que les manuscrits, on le verra, nous donnent accès à une facette peu connue de Jacques Necker, au plus près de l’homme endeuillé, profondément inquiet et tourmenté à l’idée de n’avoir pas pensé et agi à la hauteur de ses sentiments du vivant de sa compagne. Germaine de Staël fait allusion à ces productions dans sa préface aux Manuscrits de M. Necker, publiés par sa fille :

Je possède deux écrits de mon père, composés pour lui seul au moment de la mort de ma mère : l’un dans lequel il se retrace tous les motifs qu’il a de la regretter, et l’autre dans lequel il s’interroge sur les preuves de sentiment qu’il lui a données pendant qu’elle existoit, afin de combattre en lui-même, l’inconcevable crainte qu’il éprouvoit de n’avoir pas assez fait pour son bonheur. Il se représente toutes les circonstances possibles dans lesquelles il auroit pu l’affliger ou la rendre heureuse, et se rassure ou s’inquiete, selon qu’il est satisfait ou mécontent de sa disposition intime ; il est scrupuleux envers son imagination comme envers ses souvenirs ; les actions, les paroles, la vie entiere ne lui suffisent pas ; c’est dans le sanctuaire du cœur qu’il se retire pour juger l’affection qu’il a ressentie6.

Le lecteur sera certainement surpris par le lyrisme et l’intensité passionnelle de ces réflexions, qu’il nous est pour l’instant impossible de dater avec précision. Il est cependant évident que ces textes ont été rédigés peu de temps après la disparition de l’épouse, alors que les préparatifs du tombeau étaient en cours7. Necker y fait référence dans les deux textes, et note l’exigence rattachée aux vœux de la défunte : « Avec quelle exactitude avec quelle religion j’execute ses dernieres volontés ! mais cela est trop simple pour étre compté8 » ; « Que je suis malheureux encore de toutes les difficultés que presententen le monument et ses dernieres volontés à cet egard ; mais je ferai mille efforts pour les surmonter9 ». Selon Jean-René Bory, l’édification du tombeau aurait demandé trois mois de travail, et le corps embaumé de Madame Necker y aurait été déposé au mois d’août 179410. S’il est difficile de connaître le moment exact de la rédaction des manuscrits, il est en revanche possible d’émettre une hypothèse quant à l’ordre de leur écriture. C’est que l’examen des variantes révèle des remaniements et déplacements de fragments d’une version à l’autre, d’un brouillon à l’autre, en vertu desquels tout porte à croire que Confortations against me précède Pour moi <her merits>11. Les corrections et la relocalisation d’extraits témoignent d’un étonnant travail de construction à la faveur duquel se dévoile une ambivalence rattachée au souvenir de la défunte.

Confortations against me

Le premier manuscrit s’ouvre sur un aveu des plus troublants de la part de Necker : « Disposé à me tourmenter et n’ayant plus mon amie pour me soutenir contre moi même et pour defendre la verité contre les inquietudes de mon imagination, je suis obligé de converser avec moi même mais toujours sous les regards de mon amie. Quel est en ce moment le trouble qui m’agite ? » (CAM, f.1r°) À cette question, Necker répond par la crainte de n’avoir pas été suffisamment conscient de sa félicité du vivant de son épouse :

Je recherche en arriere mes sentiments les plus fugitifs et leurs diverses nuances et comparant mon desespoir avec tous les instants de ma vie dont je puis me souvenir, je me reproche de n’avoir pas senti mon bonheur passé d’une maniere aussy forte ou du moins aussy continuelle que je le devois, […] je m’interroge je me scrute moi même avec anxieté pour savoir si je n’ai aucun reproche à me faire et s’il n’y a jamais eu un moment d’affoiblissement dans le sentiment de mon bonheur. (id.)

Cette version atténue la portée de l’inquiétude qui, dans le brouillon, s’étendait jusqu’à la constance de « l’amour extreme » (ibid., note 5) ressenti pour son épouse. Ce douloureux questionnement intérieur constitue la source, le point d’origine du texte, où s’amorce un mouvement d’aller-retour entre un présent peuplé de remords et de regrets, et un passé souffrant toujours d’une comparaison défavorable en ce qui concerne la ferveur des sentiments12. Dans une section intitulée « Actions », Necker s’empresse d’énumérer les initiatives prises du vivant de son épouse, et devant se lire comme autant de preuves de son affection, qu’il s’agisse d’avoir mis toute sa fortune à sa disposition, comblé ses désirs en les faisant passer pour les siens, outrepassé leurs divergences de goût afin de se plier aux occupations qui plaisaient davantage à son épouse – la société et la conversation des « gens de lettre », au premier chef –, qu’il s’agisse d’avoir tu toute parole ou circonstance inquiétante, renoncé à la publication d’un nouvel ouvrage à une époque dangereuse, en un mot de s’être vaincu sur tout objet susceptible de l’affecter. À l’énumération des « Actions » succèdent diverses « Pensées » rédigées dans le même dessein. À travers ces listes empruntant tour à tour le ton de la justification et de la contrition, Confortations against me donne de Necker une image inédite. Nous ne sommes plus ici en présence de l’homme d’État attaché à la raison, mais plutôt introduits dans l’univers privé, affectif, d’un homme sensible, d’un veuf éploré. L’auteur est pris, selon ses propres mots, d’un « mouvement passionné » qui avive ses regrets et le pousse par ailleurs à multiplier les gages de sa ferveur amoureuse par le biais de scènes où s’affiche un troublant imaginaire du sacrifice :

J’eusse donné tout mon bien sans hesiter et je me serois cond determiné à faire tel metier qu’on auroit voulu pour prolonger sa vie de quelques jours. Je me suis presenté <imaginé> quelquefois sa mere cherie en esclavage et je me represantois avec transport <delices> que si tout mon bien etoit necessaire pour la delivrer de ses fers je le ferois avec transport. (ibid., f. 2v°)

En ce moment si pour la rendre à la vie je devois consentir non seulement à la perte de toute ma fortune mais au supplice de la roue je n’hesiterois pas à subir ces sacrifices. (ibid., f.3r°)

Jamais je ne lui ai fait répandre une larme et si j’en avois vu couler une je me serois jetté dans le feu s’il l’eut fallu pour lui rendre le calme. (ibid., f. 2r°)

Perte intégrale de la fortune (citée à deux reprises), mère captive délivrée de ses fers, supplice de la roue, épouse vengée de ses larmes, saut mortel dans le feu : les tableaux se multiplient dans une représentation où corps et fortune sont meurtris et sacrifiés à l’autel d’un amour dont les démonstrations engagent un coût exorbitant. Quelque chose, en effet, passe ici les bornes, affiche sa démesure, et pareille scène sacrificielle ne saurait naître, selon nous, sans l’influence d’un profond sentiment de culpabilité. Or, culpabilité il y a, sans aucun doute, puisque le texte s’ouvre sur l’aveu de remords et en multiplie l’expression tout au long d’un manuscrit par ailleurs rédigé à la première personne du singulier13, jusqu’à un paragraphe mitoyen dans lequel se lit une forte hésitation pronominale : alors que le brouillon présente l’auteur se dédoublant et s’adressant à lui-même comme un observateur bienveillant usant de l’impératif (« Ne joins donc pas je te le dis au nom de ta bienfaisante amie ne joins pas des reproches a tes affreux regrets […] », voir note 47), la version finale reprend cette construction avant de la biffer et de retourner à la première personne du singulier :

Ne joins donc <non je ne dois> pas je te <me> le dis au nom de ta <ma> bienfaisante amie <je> ne joins pas <dois pas joindre> des reproches à tes <mes> affreux regrets, combien de fois cette incomparable femme ne t’a <m’a>-t’elle pas averti en d’autres circonstances que tu <je> n’avois pas de plus grand ennemi que tmon imagination combien de fois n’est elle pas venue efficacement à tmon secours ! (ibid., f. 3v°)

Point culminant dans l’expression du déchirement intérieur, ces quelques lignes sont suivies d’un autre changement discursif : depuis ce moment jusqu’à la fin du texte, l’auteur s’adresse directement à la défunte afin d’obtenir son réconfort et son pardon :

Ah mon ange que ton souvenir soit mon consolateur, tu mas dit dans ta maladie après avoir prié Dieu nous benira tu m’as dit à l’instant de ta mort nous nous reverrons dans le ciel Dieu qui t’aime consacrera ta promesse, enfin pardonne moi si j’ai eu quelque tort ou d’action ou de pensée ou de sentiment. (id.)

Il s’opère alors un fascinant télescopage des expériences de la culpabilité : Necker évoque les remords que son épouse a ressentis toute sa vie à l’endroit de sa mère et le pardon qu’elle a espéré du ciel, comme s’il cherchait à représenter sa propre situation, et sollicitait la même clémence14. Les reproches que s’adresse Necker n’ont pas pour seul objet ce qu’il désigne comme une certaine distraction, une tiédeur de sentiment, ou encore une divergence de goûts qu’il s’est toujours efforcé de dissimuler. Ces reproches ont aussi à voir avec son incapacité à percevoir, du vivant de sa compagne, une sensibilité qui lui est maintenant révélée à travers la lecture d’écrits confiés avant sa mort15 : « Ah si j’avois lu ces adorables ecrits que tu m’as adressés et que j’inonde de larmes que j’eusse été heureux que j’eusse été à tes genoux à chaque instant de ma vie. Helas pourquoi ne les ai je pas lus dans le fond de ton cœur, ou pourquoi tes paroles rendoient elles si brievement tes sentiments ? » (ibid., f. 4v°) Pourquoi les paroles de Madame Necker rendaient-elles si brièvement ses sentiments ? Poser la question, c’est évoquer un souvenir pénible, celui d’une discrétion, d’un défaut de communication, voire d’une froideur de l’épouse, traits que Germaine de Staël peindra à répétition dans son œuvre, depuis son Journal de jeunesse jusqu’à la préface aux manuscrits de son père, en passant par sa correspondance et, surtout, par ses fictions : pensons à la comtesse de Sainville dans Sophie ou les sentiments secrets, à Matilde de Vernon dans Delphine, ou encore à lady Edgermond et à sa fille Lucile dans Corinne ou l’Italie. Tous ces personnages féminins peuvent se lire comme les avatars plus ou moins fidèles d’une femme reconnue par ses proches pour son caractère secret, son manque de chaleur, sa sensibilité contrainte, son sens du devoir et sa rigueur morale confinant à une certaine rigidité. Que ces manques aient pu affecter Germaine Necker et soient naturellement devenus l’un des thèmes récurrents de son œuvre, cela est désormais connu16. Mais qu’ils apparaissent discrètement énoncés sous la plume de l’époux lui-même, au sein d’un texte consacré à la mémoire de sa femme, voilà qui révèle un aspect jusqu’ici peu étudié, sinon ignoré, de l’œuvre neckerienne. Voyons deux autres passages représentatifs de ce mouvement :

Ma tendre amie incomparable dans la profondeur de ses sentiments n’avoit pas la même expansion que moi, et mes caresses, reçues simplement avec un charme toujours le même pour moi, n’ont jamais eu besoin d’etre entretenues par une même reciprocité. (ibid., f. 2r°) 

Je n’ai jamais pleuré auprès de son lit aussi amerement aussi continuellement que je pleure, mais cela vient de ce que je me contenois au premier essort pour ne pas lui faire de la peine cela vient de ce qu’elle ne m’a presque jamais dit <alors> un mot sensible et que dans notre nature nous avons besoin de ces mots pour rassembler en un instant toutes nos affections. Je suis sur qu’un seul de ces mots m’auroit ouvert le cœur m’auroit inondé de larmes, et quand ma fille chanta sur le pi clavecin l’air d’Œdipe à sa fille antigone je versai des torrents de larmes et cependant ma pauvre femme deja un peu changée par la maladie ne pleura point. (ibid., f. 3r°-v°)

Ces deux extraits dévoilent un déséquilibre, un défaut de réciprocité dans les démonstrations d’affection et les effusions émotives, qu’il s’agisse de « caresses » dans la première citation, ou encore de l’expression spontanée de la peine, dans la seconde. Tel qu’il est représenté ici, le corps de Madame Necker ne parle, ne jouit ni ne réagit. Au surplus, le triangle formé par la famille Necker dans la scène musicale du second extrait rappelle un autre triangle : celui formé par Necker, sa fille et Éric de Staël dans la scène de danse du Journal de Mademoiselle Necker, épisode où Germaine fait pour la première fois la rencontre de son fiancé, dont la froideur la trouble dès lors qu’elle esquisse quelques pas de danse avec lui. Le père s’avance alors vers sa fille, la prend dans ses bras et s’exclame : « Tenez, Monsieur, je vais vous montrer comment on danse avec une demoiselle dont on est amoureux17 ». Dans les deux cas, père et fille sont représentés comme unis par une même sensibilité, par une même chaleur, alors que le tiers (Éric de Staël dans un cas, Madame Necker dans l’autre) tranche par une nature infiniment moins expansive. Enfin, un examen minutieux des variantes entre le brouillon et la version finale de Confortations against me laisse poindre quelques subtiles corrections18 dont on peut présumer qu’elles participent, avec les extraits précédemment cités, de ces moments très significatifs où Necker semble se trahir lui-même, de ces moments qui font vaciller le texte en mettant au jour son ambivalence intrinsèque, en laissant entrevoir l’innommable : quelques souvenirs de l’aimée qui s’apparentent davantage à la déception qu’au bonheur, un amour profond mais pourtant fragilisé, compromis par des contrariétés de toutes sortes. Le tourment et l’inquiétude ne trouveront, en fin de compte, aucun soulagement véritable en ces pages. Bien au contraire, la tension entretenue par l’oscillation entre présent et passé, regrets et remords, adoration et déception, perdure d’un bout à l’autre de ce manuscrit.

Pour moi, <her merits>

Mais Necker n’en reste pas là. Si notre hypothèse s’avère juste, il compose un second texte dont le mandat semble être de répondre au premier, de ramener le calme là où l’écriture avait semé la tempête. Alors que Confortations against me peine à cacher ses aspérités, Pour moi, <her merits>  apparaît plus uniforme en ce qui concerne la représentation de l’aimée, sur laquelle se focalise l’attention. La perspective se modifie dans ce second manuscrit majoritairement écrit à la troisième personne du singulier et qui, comme le titre l’annonce, revisite les qualités et les paroles de l’épouse perdue afin de les consigner en lieu sûr. L’inquiétude ne disparaît pas pour autant, puisque le projet prend racine dans une crainte de l’oubli : « Si le tems, si l’age, si la maladie venoient jamais à afflo affoiblir le souvenir de ma profonde douleur et de mes justes sujets de regrets et de larmes, que je les trouve retracés ici en peu de mots ! » (PM, f. 1r°)

Commence alors, sous la plume de Necker, une nouvelle liste, énumération de souvenirs les plus divers, mais convergeant vers la peinture d’une compagne se distinguant par la force de sa foi, de sa morale, par sa bonté, son souci de l’autre, par l’égalité de son caractère, par sa délicatesse, sa sensibilité, enfin par la profondeur et la constance de son amour. Contrairement à l’écrit précédent, qui laissait poindre quelques reproches, le présent texte peint Madame Necker comme une femme irréprochable, honorée par d’immenses sacrifices – dont celui d’une carrière en lettres –, capable de résignation – devant sa maladie ou les coups du destin –, et qui ne se contentait pas d’agir au mieux pour elle-même, mais protégeait son mari de ses propres démons : « Elle me rendoit la tranquillité dans tous les genres d’allarmes elles scavoit parler à mon cœur à mon esprit à mon imagination : elle étoit mon bouclier contre moi même. » (ibid., f. 2r°) Manifestement, Necker cherche dans l’écriture une compensation à l’interlocutrice perdue, qui se révélait aussi sa première lectrice : « Je ne pourrai plus ecrire elle etoit mon guide et mon encouragement elle etoit aussi ma galerie car son applaudissement approbation me récompensoit mieux que toutes les louanges des autres. » (id.)

Alors que Confortations against me donnait de la défunte l’image d’une femme à la sensibilité contrainte, c’est ici à Necker lui-même que sont le plus souvent associées les paroles tues, réprimées :

Oh que de choses je ne lui ai pas dites, que de sentiments dont la privation vient cruellement m’avertir ! (ibid., f. 3r°)

Ah ma cecile que de sentiments dont je regrette de ne t’avoir pas entretenue. (ibid., f. 4r°)

Pensée cruelle ! C’est surement vers la fin de sa vie que la pensée de mon amie etoit le plus remplie le plus agitée et alors elle ne pouvoit s’expliquer, ses forces lui manquoient et je n’osois l’<r>approcher la conversation de son danger ainsi c’est lorsqu’elle avoit peut ètre le plus besoin d’epanchement qu’elle n’a tirè aucun secours service de son fidele ami […]. (ibid., f. 4r°)

L’épouse est dépeinte sous un jour infiniment plus sensible que dans le premier texte, non seulement dans le domaine des émotions, mais aussi par le biais de son corps. Ici, les larmes constituent le symptôme privilégié qui contredit entièrement l’image du corps apathique de la première version. Un corps maintenant susceptible de répandre tantôt des « pleurs » (ibid., f. 4v°), tantôt un « torrent de larmes » (ibid., f. 3r°) à la découverte des premiers signes du vieillissement chez l’époux, ou devant les injustices vécues lors du départ définitif de France. Sont aussi évoqués les moments où la maladie, les accidents divers ou encore les circonstances de la Révolution française ont mis Madame Necker, ou son mari avec elle, en péril. L’objectif n’étant pas de s’apitoyer sur un sort difficile, mais de souligner, à chaque fois, le bonheur qu’avait Suzanne d’être auprès de son mari.

Cependant, au moment d’écrire ces lignes, Necker est seul et en souffre cruellement : « Dans quel vuide je suis jetté je n’ai plus de confident je n’ai plus ce compagnon cet ami qui faisoit route avec moi dans le voyage de la vie. » (ibid., f. 2v°) On voit ici apparaître un thème très important, celui de la douce moitié ou de l’âme sœur. Necker y consacre de nombreux passages dans lesquels il insiste sur la perte d’une compagne irremplaçable, sur la difficulté qu’ils avaient d’être loin l’un de l’autre, sur le tonnerre qui les effrayait lorsqu’ils étaient séparés, sur le désir de sa femme de partager le même tombeau, sur l’impossibilité absolue de se remarier, ou même d’y songer un instant, enfin sur le sentiment d’une profonde convenance de leur caractère : « Que de fois elle m’a dit le ciel nous avoit fait l’un pour l’autre » (ibid., f. 3v°).

Ce réseau sémantique traçant l’image d’un couple inséparable, reflet d’un attachement exceptionnel, d’une union indissoluble même par-delà la mort pourrait aussi participer, selon nous, d’une stratégie d’écriture comportant une dimension compensatoire et réparatrice. Pour moi <her merits> apparaît à plusieurs égards jouer le rôle d’un rempart contre une profonde ambivalence, contre une inquiétude et une culpabilité à ce point tenaces et douloureuses qu’elles ont nécessité, d’une part, de se dire par le biais de l’écriture et, d’autre part, d’y trouver la voie de leur apaisement. Cet apaisement passerait alors par l’élaboration, dans le texte, d’une image idéale de la défunte et du couple, image à laquelle le premier écrit avait porté atteinte malgré lui. Dans cette optique, Pour moi <her merits>  aurait pour mandat de rapprocher les partis menacés d’éloignement, de (re)construire, mot après mot, ligne après ligne, un souvenir de l’aimée délesté de sa part d’ombre, de telle sorte que l’union soit entièrement rétablie, du moins en ces pages. Si tel a été le projet de Necker, il pourrait expliquer en partie le déplacement d’un ultime fragment du premier au second texte, dont il constitue désormais la clausule. Quoi de plus opportun, quoi de plus significatif, en effet, que de conclure sur un scénario de mort digne des Romantiques, s’inscrivant très exactement dans cet imaginaire de la fusion : « J’aurois[?] trouvé le plus grand charme à <la plus douce fin de la vie pour moi eut été de> fermer mes yeux avec les siens et à <d>’ètre ensuite liès ensemble et jettés dans le lac. » (ibid., f. 5r°)

S’il est toujours hasardeux d’avancer quelque hypothèse sur l’intention à l’origine de manuscrits, il demeure que Confortations against me et Pour moi <her merits> portent les traces d’une conscience agitée, inquiète, et se révèlent d’une importance incontestable dans l’exhumation d’une partie jusqu’ici ignorée du corpus neckerien. Nous espérons qu’ils retiendront l’attention des lecteurs actuels et à venir, et contribueront à enrichir la connaissance de Jacques Necker dans la part la plus intime de son œuvre.

1 Jacques Necker, « De l’union conjugale », Cours de morale religieuse, Œuvres complètes de M. Necker, publiées par M. le baron de Staël, son

2 Ce dossier contient encore les textes suivants : « Entretien avec moi meme » et « Entretien avec moi même : Motifs pour ou contre mon retour en

3 Confortations against me consiste en quatorze feuillets — certains laissés en blanc — dans le brouillon et quatre feuillets dans sa version finale

4 La présence de l’anglais dans ces titres, et d’un anglais approximatif dans le premier cas (« confortations » ne renvoie à aucun substantif connu en

5 Voir notamment André Corbaz, Madame Necker. Humble Vaudoise et Grande dame, Lausanne, Payot, 1945, p. 214-216 ; Rosalynd Pflaum, La Famille Necker

6 Germaine de Staël, « Du caractère de M. Necker, et de sa vie privée », Manuscrits de M. Necker, publiés par sa fille, Genève, Paschoud, An XIII (

7 Germaine de Staël décrit ces circonstances (ibid., p. 107-109)  : « Ma mère mourut : ce ne fut point par l’égarement du désespoir que se peignit une

8 Confortations against me, dossier Réflexions de Necker après la mort de sa femme, archives de Coppet, f. 2v°. Désormais, nous emploierons le sigle

9 Pour moi <her merits>, dossier Réflexions de Necker après la mort de sa femme, archives de Coppet, f. 3r°. Désormais, nous emploierons le sigle

10 Voir à ce sujet l’article très informé de Jean-René Bory, « Le tombeau de Mme de Staël », Colloque de Coppet : Madame de Staël et l’Europe (18-24

11 On portera notamment attention au fait que trois fragments apparaissant dans le brouillon de Confortations against me n’apparaissent pas dans la

12 Voir en guise d’exemples CAM, f. 3r° :« […] pendant son danger pendant sa maladie je n’ai pas été aussi malheureux qu’à present » ; id. : « Je n’ai

13 On note également quelques emplois de la troisième personne du singulier, en particulier lorsque Necker énumère les habitudes de sa compagne en

14 « Je me rappelle qu’à ton amour si profond pour ta mere il se joignoit aussi quelque leger remords tu ne me l’as jamais expliqué mais j’ai compris

15 Les écrits auxquels Necker fait ici référence correspondent à des lettres rédigées par Madame Necker à l’intention de son époux et devant être lues

16 Voir à ce sujet notre ouvrage La Lettre et la mère. Roman familial et écriture de la passion chez Suzanne Necker et Germaine de Staël, Québec/Paris

17 Germaine Necker, « Mon journal », Cahiers staëliens, n° 28, 1980, « Le 11 [11 août 1785.] », p. 71.

18 Voir en particulier, en appendice, les notes 5, 7, 38, 57, 58 et 132.

19 « dune maniere assez[?] <aussy> forte »

20 « Ciel ». Apparaît toujours avec une majuscule dans les deux brouillons.

21 « n’ont pas <eu> un degré »

22 « me faire <et> si<l> je ny y<a> jamais eu <un> moment »

23 « dans mon amour extreme et dans le sentiment »

24 Jacques Necker a épousé Suzanne Curchod en 1764.

25 « du bonheur de ma vie <mon amie> »

26 « indicible pour moi de luy »

27 « je ne me rappelle icy »

28 « pour atteindre moi même[?] a un but »

29 « avec <un> charme »

30 « par la <une meme> reciprocite »

31 « venue [sic] »

32 « <soit> d’attention pour sa santé ou <soit> dun »

33 « je[?]<ai> n’ai toujours <caché> les circonstances »

34 « desiré [illisible] <de> passer »

35 Dans la version finale, « aux émigrés » avait été biffé de façon à rendre le segment illisible, avant que le paragraphe entier ne soit rayé de

36 « Elle se bles Ma tendre amie se blessoit aisement »

37 Début d’un nouveau paragraphe dans le brouillon.

38 « le calme. St-Ouen ».

39 Dans le brouillon, ce paragraphe (de « J’avois fait un ouvrage […] » à « trop simple pour étre compté. ») apparaît plus bas et précédé du

40 Necker réfère ici à la confection du tombeau (voir notre introduction, notes 8 et 11).

41 « je me serois remis[?] <determiné> »

42 « pour prolonger sa vie »

43 « Je me suis presente quelquefois »

44 « mere cherie p<en> »

45 « avec delices qu’[illisible] que si »

46 « avec delices transport. »

47 « renoncer un bonheur eternel bonheur »

48 « non seulement a la perte de toute ma fortune mais au supplice de la roue »

49 « J’adore son ame <image> & mon amour pour elle est<a> un melange de culte »

50 Suivi d’un trait et d’un signe biffé illisible (« D6[?] ») dans le brouillon.

51 Début d’un nouveau paragraphe dans le brouillon.

52 « mais cest Nest-ce pas »

53 « ma tendre ami [sic] »

54 « Je nai pas pleuré »

55 « au premier essort pour »

56 « cela vient de ce quelle ne ma <presque> jamais dit un mot sensible »

57 « Je suis sur qu’un seul de ces mots m’eut ouvert le cœur meut inondé de larmes »

58 « chanta sur le clavecin »

59 « lair dŒdipe a sa fille je versai »

60 La même scène sera racontée en 1804 du point de vue de Madame de Staël (« Du caractère de M. Necker, et de sa vie privée », op. cit., p. 106-107) :

61 Dans le brouillon, ce paragraphe (de « Je suis pas ma nature » à « ou à une pensée ») est un ajout dans la marge de gauche.

62 « ou au<a> une pensee. »

63 « dans la nature que des hommes que »

64 « en reunissan toutes vos pensées vers la meme idée vous bouleverse vous penetre davantage »

65 « Ne joins donc pas je te le dis au nom de ta bienfaisante amie ne joins pas des reproches a tes affreux regrets combien de fois cette incomparable

66 « que ton souvenir sois [sic] »

67 « qu<’>e<a> dans ton amour »

68 « jamais expliqué vmais jai compris que tu n’avois pas ete toujours pu contenir la <lexpression de ta> peine que[?]<en> te toccasionoit les <soumet

69 « tu etois sure que[?] davoir »

70 « et comme je te vo[?] <je le fais> sous tes auspices. »

71 « ma nature morale entierement epurée »

72 « tel que je suis le Ciel »

73 « Paradis »

74 « et c’est ce sentiment mouvement passioné »

75 « pas ete <constamment> a la meme hauteur »

76 « te montrant à mes yeux depouillée des petites[?] dans toute la beauté »

77 « de n’avoir pas senti joui autant que je le pouvois de cette <dune> faveur du Ciel »

78 « si javois tort de minquieter ainsy ; ta[?] mes doutes »

79 « que tu mentend [sic] »

80 « O chere amie »

81 « recois mon[?]<oï> »

82 Voir notre introduction, note 16.

83 « de <ton> cœur »

84 « tes sentiments. »

85 « tout ce que jai fait tout ce que jai senti pour toi »

86 « leffet [illisible] <inevitable> de notre foible nature ? » 

87 La version finale se conclut sur ces mots. Nous retranscrivons ci-dessous les fragments sur lesquels se conclut le brouillon, et qui seront

Peu de jours avant sa mort elle disoit de moi a M du chatel voilà lincomparable [retranché de la version finale ; apparaît dans PM, f. 5r°]

Je nai jamais pu songer sans verser des larmes au tems quelle avoit passe dans la plus etroite situation de fortune. Où etois-je mon amie me disois-je

Actions encore

Javois fait un ouvrage sur.. je desirois de le rendre public tu me fis connoitre par un mot que tu verrois avec peine ce petit danger de plus pour

Avec quelle exactitude avec quelle religion jexecute ses derniers [sic] volontés mais cela est trop simple pour ètre compte. [Les deux fragments

Pensées encore

Je me suis dit cent fois que si revenant dun voyage japprenois que par une conduite inconsiderée tu avois perdu tout mon bien je serois sauté a ton

Once[?]

hehaviour [sic] [retranché de la version finale, ce mot biffé (sans doute behaviour) apparaît à l’endos de la dernière page du brouillon]

88 Le brouillon est simplement intitulé « Pour moi »

89 « O si le tems »

90 « étoit gravé »

91 « pour me dire »

92 « elle me recommande »

93 « en faveur de sa »

94 « Ses conseils et[?]<a> sa fille ». Ces conseils réfèrent sans doute à l’une des « deux lettres à [s]a fille écrites en differents tems » (« N°8 Ro

95 « luy recommander de soccuper du bonheur de ma vieillesse »

96 « qu’elle prendra a reparation <ou a reconnoissance> »

97 « luy<a> rendoient »

98 « passé <et> jamais »

99 « l’amour et la reconnoissance <devotion> »

100 « étoient etoient aussy »

101 « d’intervale que la[?]<qu’aux> »

102 « Elle sest decidé [sic] »

103 Germaine Necker évoque cet abandon maternel des lettres dans « Mon journal » (« le 10 aoust [10 août 1785.] », p. 70) : « Maman avait fort le goût

104 Début d’un nouveau paragraphe dans le brouillon.

105 « qu’elle consideroit »

106 Voir Gabriel-Paul-Othenin d’Haussonville, Le Salon de Madame Necker, t. 2, p. 289-290 : « Pardonne, oh ! mon ami ! c’est peut-être la seule

107 Début d’un nouveau paragraphe dans le brouillon.

108 « Le tonnerre nous effrayoit quand nous etions separès, je retrouvois le calme et elle aussy dès que nous étions près l’un de l’autre »

109 Début d’un nouveau paragraphe dans le brouillon.

110 « en me rappellant toujours »

111 « elle [m[ ?]illisible] etoit »

112 « son approbation »

113 « Elle n’a<e> <s’est> jamais »

114 Retranché de la version finale (la phrase est biffée dans le brouillon) : « Elle avoit une decision dans lesprit qui secouroit continuellement mes

115 « Son humeur etoit dune egalite parfaite <est-ce luy disoit-elle avec charme toutes les fois quelle entendoit mes pas.> »

116 Ajouté dans la marge de gauche et biffé : « Ils se choisirons[?] tous les jours »

117 « l’autre jour M<la> bonne Mad Duv »

118 « admise au sejour celeste nous »

119 Necker reprend cette anecdote dans sa préface aux Mélanges (Jacques Necker, « Observations de l’éditeur », Mélanges extraits des manuscrits de

120 « vers les derniers tems »

121 « Dieu nous benira »

122 « ce confident <compagnon> cet ami »

123 « Une fois Elle m[?]<se> faisoit hatoit de me faire dire »

124 « etoit mieux lorsquelle »

125 « et de remord pour mon cœur »

126 « toute les difficulté [sic] que presentent les<e> »

127 Début d’un nouveau paragraphe dans le brouillon.

128 « Oh que de choses que je »

129 « Arcy Sur Aube lorsqu’un homme du lieu se permit »

130 Necker fait ici référence au voyage très périlleux de Paris à Coppet suivant sa démission, le 3 septembre 1790. Suzanne Necker écrit dans son

131 Madame Necker raconte cet incident dans son journal (ibid., v°) : « j’ai été sur le point d’etre brulée toute vive ; et sans un miracle du ciel je

132 « Avec quelle<l> interest avec quells [sic] »

133 « près de vous »

134 « nous avoit faits »

135 « M du Chatel »

136 « dans le tombeau. <Jai mes diamants, <luy> disoit-elle quand il luy parla de la depense> »

137 Le brouillon présente la phrase suivante : « Je nai plus damis je suis seul sur la terre ».

138 « Quand elle je luy »

139 Il nous est pour l’instant impossible d’identifier cette référence.

140 « Helas je nai plus damis plus de confident je vois plus que jamais combien elle etoit unique sur la terre pour moi. Elle disoit souvent le Ciel

141 « france [illisible] et »

142 « des tyrans et peut-être… Je ne puis exprimer »

143 « que les<a> pensée »

144 « je n’osois la rapprocher »

145 « n’a tirè aucun service »

146 La version au propre et le brouillon indiquent « Nè » plutôt que « Me »

147 « quelle repandit le jour que je perdis une dent <Chemise> »

148 Le brouillon présente la phrase suivante, retranchée de la version finale : « Personne ne partage ma situation et mes interests sur laffaire de

149 « dans ses derniers moments. Reveil »

150 « Dun mot moins sensible <quà lordinaire> jeuse plongé »

151 « Elle ne sauroit[?] pas assez sur les »

152 « Elle se seroit »

153 « Quelle joye elle eut le jour où je[?]<après> avoir diné seul je revins a elle les larmes aux yeux ». Cette phrase apparaît sous une forme simil

154 « elle ne pouvoit la<en> supporter »

155 « Helas elle est finie sur la terre ! » Le brouillon s’achève sur ces mots.

156 Les quatre fragments suivants, qui apparaissaient dans le brouillon de « Confortations against me », ne sont pas inclus dans le brouillon du

Les transcriptions qui suivent respectent l’orthographe et la ponctuation employées dans les versions finales des deux manuscrits. Nous avons par ailleurs indiqué toutes les variantes des brouillons en notes, à l’exception de celles, fort nombreuses, relevant de l’emploi des accents, de la modernisation orthographique ou typographique (par exemple « a/à », « & »/« et », « luy »/« lui », « interest »/« intérêt », etc.).

Notre reconnaissance la plus profonde est adressée à feu Monsieur le comte d’Haussonville, sans qui la consultation des présents manuscrits n’aurait pas été possible.

[f.1r°]

Confortations against me.

Disposé à me tourmenter et n’ayant plus mon amie pour me soutenir contre moi même et pour defendre la verité contre les inquietudes de mon imagination, je suis obligé de converser avec moi même mais toujours sous les regards de mon amie.

Quel est en ce moment le trouble qui m’agite ? Je recherche en arriere mes sentiments les plus fugitifs et leurs diverses nuances et comparant mon desespoir avec tous les instants de ma vie dont je puis me souvenir, je me reproche de n’avoir pas senti mon bonheur passé d’une maniere aussy forte19 ou du moins aussy continuelle que je le devois, il me semble même qu’au milieu de mes dernieres allarmes il y a eu des moments où mes prieres au ciel20 n’ont pas eu un degré21 de ferveur comparable à celuy au quel elles sont portées depuis le moment de mon malheur et je m’interroge je me scrute moi même avec anxieté pour savoir si je n’ai aucun reproche à me faire et s’il n’y a jamais eu un moment22 d’affoiblissement dans le sentiment23 de mon bonheur.

Actions

Je suis sur de n’avoir jamais cessé un moment pendant trente ans24 d’étre occupé du bonheur de mon amie25. Je ne lui ai non seulement jamais resisté sur rien mais j’ai etudié sans cesse ses vœux secrets ses desirs fugitifs et en les satisfaisant jai toujours eu l’attention de donner

[f.1v°]

à toutes mes actions l’apparence de mon propre vœu. Ainsi sans avoir naturellement les mêmes gouts qu’elle en toutes choses, sans aimer comme elle exclusivement les gens de lettre et leur conversation jamais je n’ai troublé, jamais je n’ai alteré un moment ses jouissances en laissant paroitre que je ne partageois pas avec le même interêt le genre de distraction qui lui etoit le plus agreable.

Ma tendre amie avoit un noble orgueil qui joint à sa grande discretion l’auroit facilement genée dans la disposition d’une fortune qui m’etoit propre, si par le plus grand abandon de ma part et par des soins soutenus je n’etois pas parvenu au bonheur indicible de lui26 faire regarder ma fortune absolument comme la sienne propre.

J’ai été continuellement occupé de lui assurer après moi tout ce que les loix me permettoient de faire et j’ai ressenti un repos d’esprit sans pareil lorsque je me suis trouvé dans un pays où je pouvois la mettre en possession après moi de la moitié de ma fortune. C’etoit le moins que je lui dusse aussi je ne me rappelle ici27 que l’occupation de mon cœur et de mon esprit pour atteindre à un but28 qui tenoit essentiellement à mon bonheur.

[f.2r°]

Ma tendre amie incomparable dans la profondeur de ses sentiments n’avoit pas la même expansion que moi, et mes caresses, reçues simplement avec un charme29 toujours le même pour moi, n’ont jamais eu besoin d’etre entretenues par une même reciprocité30.

Il ne m’est jamais venu31 aucune idée soit d’attention pour sa santé soit d’un32 plaisir à lui faire que je n’aie rempli avec une celerité et une jouissance inexprimable.

J’ai mis le même soin à l’exempter de peines et avec le besoin de lui tout confier j’ai toujours caché les circonstances33 où [sic] les particularités qui pouvoient lui donner de l’inquietude.

Et lorsqu’elle a desiré de passer34 l’hiver à Lausanne je lui ai dissimulé les avis que j’avois reçus relativement aux émigrés35 et dont la connoissance l’auroit detourné [sic] de ce voyage.

Ma tendre amie se blessoit fa aisément36 et ses volontés etoient fixes même sur les plus petits details, combien de fois n’ai je pas retenu un mouvement de peine pour lui en epargner une même la plus passagere, je me suis toujours vaincu. 37Jamais je ne lui ai fait répandre une larme et si j’en avois vu couler une je me serois jetté dans le feu s’il l’eut fallu pour lui rendre le calme. [illisible]38

[f.2v°]

L’idée de son malheur d’un moment, lidée de sa souffrance la plus passagere m’auroit glacé d’effroi.

Combien de fois n’ai je pas dit et ne lui ai je pas dit que ma conduite envers elle etoit la seule partie de ma vie qui ne me laissat aucun remords ni dans le cœur ni dans l’esprit.

[39] J’avois fait un ouvrage sur… je desirois de le rendre public tu me fis connoitre par un mot que tu verrois avec peine ce petit danger de plus pour notre fortune et sur le champ je renonçai à mon idée et je le fis sans montrer sans ressentir la moindre peine Avec quelle exactitude avec quelle religion j’execute ses dernieres volontés40 ! mais cela est trop simple pour étre compté.

Pensées

J’eusse donné tout mon bien sans hesiter et je me serois cond determiné41 à faire tel metier qu’on auroit voulu pour prolonger sa vie de quelques jours42.

Je me suis presenté <imaginé> quelquefois43 sa mere cherie en44 esclavage et je me represantois avec transport <delices> que si45 tout mon bien etoit necessaire pour la delivrer de ses fers je le ferois avec transport46.

Je me suis demandé une fois si pour lui epargner un jour une heure de douleur je devois renoncer au bonheur eternel, bonheur47 qui commenceroit au moment de ma decision j’accepterois cette proposition, et mon

[f.3r°]

et mon cœur a prononcé sur le champ la negative.

En ce moment si pour la rendre à la vie je devois consentir non seulement à la perte de toute ma fortune mais au supplice de la roue48 je n’hesiterois pas à subir ces sacrifices.

J’adore son image et mon amour pour elle est un mèlange de culte49 dont l’impression passe toute idée. Je la regrette, je la pleure, je la prie, je l’invoque 50.

D’où vient donc qu’il me reste une agitation une sorte de mecontentement de moi même ? [51] Ce sentiment porte sur ce que pendant son danger pendant sa maladie je n’ai pas été aussi malheureux qu’à present. N’est ce pas52 mon imagination cette terrible ennemie qui fait mon principal tourment ?

Combien de fois à la fenêtre de ma chambre et prêtant l’oreille aux prieres de ma tendre amie53 n’y ai je pas reuni les p miennes avec ferveur. Je n’ai jamais pleuré54 auprès de son lit aussi amerement aussi continuellement que je pleure, mais cela vient de ce que je me contenois au premier essort pour55 ne pas lui faire de la peine cela vient de ce qu’elle ne m’a presque jamais dit <alors> un mot sensible56 et que dans notre nature nous avons besoin de ces mots pour rassembler en un instant toutes nos affections. Je suis sur qu’un seul de ces mots m’auroit ouvert le cœur

[f.3v°]

m’auroit inondé de larmes57, et quand ma fille chanta sur le pi clavecin58 l’air d’Œdipe à sa fille <antigone> je versai59 des torrents de larmes et cependant ma pauvre femme deja un peu changée par la maladie ne pleura point60.

[61]Je suis par ma nature susceptible facilement d’une attention eparse et j’ai besoin de me rassembler ou d’etre rassemblé par une circonstance pour ètre en entier à un sentiment ou à une pensée62.

Enfin n’est il pas dans la nature des hommes que63 la privation en reunissant toutes nos pensées vers la même idée nous bouleverse nous pénetre davantage 64.

Ne joins donc <non je ne dois> pas je te <me> le dis au nom de ta <ma> bienfaisante amie <je> ne joins pas <dois pas joindre> des reproches à tes <mes> affreux regrets, combien de fois cette incomparable femme ne t’a <m’a>-t’elle pas averti en d’autres circonstances que tu <je> n’avois pas de plus grand ennemi que tmon imagination combien de fois n’est elle pas venue efficacement à tmon secours65 ! Ah mon ange que ton souvenir soit66 mon consolateur, tu mas dit dans ta maladie après avoir prié Dieu nous benira tu m’as dit à l’instant de ta mort nous nous reverrons dans le ciel Dieu qui t’aime consacrera ta promesse, enfin pardonne moi si j’ai eu quelque tort ou d’action ou de pensée ou de sentiment.

Je me rappelle qu’à ton amour67 si profond pour ta

[f.4r°]

mere il se joignoit aussi quelque leger remords tu ne me l’as jamais expliqué mais j’ai compris que tu n’avoits pas toujours pu contenir l’expression de ta peine en te soumettant à un genre d’occupation <de vie> necessité par nvotre fortune mais si contraire à tes gouts68. Je t’ai ouï dire une fois que tu avois tant pleuré tant prié que tu etois sure d’avoir69 obtenu ton pardon Helas en avois tu besoin ? Mais enfin la misericorde du ciel est infinie et c’est à cette même misericorde que je m’adresse et je le fais sous tes auspices70. Ah mon amie si tu le peux, fais que ma nature morale epurée71 puisse ètre jugée digne d’une seconde association avec toi. Grace, Grace et toujours ton amour, toujours ton souvenir toujours ta pitié. Ah si sur cette terre même et tel que je suis les ciel72 te rendoit à mes vœux chaque instant maintenant que je passerois près de toi me paroitroit un rayon du paradis73; et c’est ce mouvement passioné74 qui me desole en m’apprenant que je n’ai pas été constamment à la même hauteur75 de sentiment lorsque je te possedois. O fatale leçon qui nous est donnée par la privation, est ce ma faute est ce une circonstance attachée à la nature humaine ? Mon ange, mon ange, prends moi dans mon dernier amour dans ce sentiment sans bornes et sans distraction qui te montrant à mes yeux dans toute la beauté76 de ta nature morale,

[f.4v°]

me laisse le profond regret de n’avoir pas joui autant que je le pouvois d’une faveur du ciel77 sans egale. Enfin si j’avois tort de m’inquieter ainsi mes doutes78 et mes craintes ne seroient qu’un accroissement de mon amour extrême et ne pourroient pas tourner contre moi dans ton esprit; car je me plais à penser que tu me vois que tu m’entends79 que tu lis dans mon cœur. O ma chere amie80 sois ma protectrice et s’il me falloit ta pitié ne me la refuse pas ange, ange de ma vie ce que je suis est une suite de ce que j’etois, reçois moi81 dans cet ensemble afin de maimer d’avantage.

Ah si j’avois lu ces adorables ecrits82 que tu m’as adressés et que j’inonde de larmes que j’eusse été heureux que j’eusse été à tes genoux à chaque instant de ma vie. Helas pourquoi ne les ai je pas lus dans le fond de ton cœur83, ou pourquoi tes paroles rendoient elles si brievement tes sentiments?84 O, mon amie tel est aujourd’hui mon malheur que tout ce que j’ai fait pour toi tout ce que j’ai senti pour toi85 et dont tu as toujours parlé avec tant de contentement me paroit mille fois au dessous de ce qui sortiroit de mon ame en ce moment. Est ce ma faute, est ce l’effet inevitable de notre foible nature86? Chere amie chere amie. Je suis fou peut ètre dans mes inquietudes, mais j’adresse à ton ombre à ton ame celeste les elans d’un cœur que tu as tant de fois calmé87

[f.1r°]

Pour moi <her merits>88

Si le tems89, si l’age, si la maladie venoient jamais à afflo affoiblir le souvenir de ma profonde douleur et de mes justes sujets de regrets et de larmes, que je les trouve retracés ici en peu de mots !

Elle remuoit en mourant le doigt de sa main gauche où etoit l’anneau que je lui avois donné afin de le redemander. Sur cet anneau etoient gravées90 ces paroles il m’aimera toujours. Absent d’elle pendant quelques heures de sommeil je demandai à ses femmes si pendant mon absence elle m’avoit nommé, elle ne pouvoit presque plus parler et elle fit un effort pour dire91 oui oui. Elle me dit nous nous reverrons dans le ciel elle le regardoit ce ciel de la maniere la plus touchante en prêtant l’oreille à ma priere.

Le Testament par lequel elle <me> recommande92 quelques dispositions en faveur sa93 [sic] famille est rempli de la discretion la plus tendre et la plus délicate pour moi.

Ses conseils à sa fille94 ne sont presque destinés qu’à lui recommander ma vieillesse95 elle lui dit continuellement qu’elle prendra <à> rèparation ou à reconnoissance96 tout ce qu’elle fera pour moi.

Elle s’occupe de ses gens avec un detail qui montre avec quelle force elle portoit au loin la faculté d’aimer.

Les pleurs qui couloient de mes yeux pendant sa maladie la rendoient97 si malheureuse qu’au moment où je

[f.1v°]

ne pus me contenir elle poussa des cris de désespoir.

Elle prioit Dieu elle invoquoit ses parents avec un son de voix si touchant que le cœur le plus dur en eut été dechiré.

Elle aimoit Dieu avec une pureté de sentiments sans exemple c’etoit toujours pour le passé, et jamais98 elle n’eut besoin d’autre sentiment que de sa reconnoissance.

Elle n’oublia jamais un seul instant l’amour et la devotion99 qu’elle avoit ressentis pour ses dignes par parents et ces sentiments etoient aussi100 prononcés en elle après trente ans d’intervalle qu’aux101 premiers tems de leur mort.

Elle s’est decidée102 dans toutes les actions de sa vie par des principes de morale. Elle n’a jamais eu d’autre guide et le moindre remord eut été pour elle un tourment plus cruel que la roue.

Elle m’a sacrifié le desir naturel qu’elle auroit eu de s’illustrer par des ecrits ayant tout l’esprit et tous les talents necessaires pour se placer au plus haut rang dans cette carriere103. 104Quel calme quelle beauté dans son lit de mort ! Quelle résignation avant sa mort et pendant ses souffrances à la volonté de Dieu elle opposoit toujours à ceux qui la plaignoient les trente années de bonheur qu’elle avoit tenues de la bonte celeste.

Elle avoit une peur manifeste de me survivre c’etoit un malheur qu’elle reg consideroit105 comme au dessus de

[f. 2r°]

ses forces106. 107Elle me rendoit la tranquillité dans tous les genres d’allarmes elle scavoit parler à mon cœur à mon esprit à mon imagination : elle etoit mon bouclier contre moi même.

Le tonnerre nous l’effrayoit quand nous etions separés je <elle> retrouvoit le calme et elle aussi dès que nous etions près l’un de l’autre108. 109Une sorte de culte se reunissoit à mon amour. Elle a toujours partagé mes succès et ce second amour propre avoit pris la place du sien.

O mon amie j’aurois mille choses à dire encore. Je te regarde au ciel tu es mon esperance.

Elle fixoit les indecisions qui sont un défaut de mon caractere ; elle me preservoit des regrets en me rappellant sans cesse toujours110 que le passé est hors de notré [sic] atteinte, et en justifiant tout ce que j’avois fait par un sentiment élevé.

Je ne pourrai plus ecrire elle etoit mon guide et mon encouragement elle etoit111 aussi ma galerie car son applaudissement approbation112 me récompensoit mieux que toutes les louanges des autres.

Elle croyoit à l’affection pour elle, elle croyoit aux professions de morale et de vertu signes certains d’une ame simple et vraie.

Elle ne s’est jamais113 permis le mensonge le plus indifferent.

[114]

[f. 2v°]

Elle soignoit ma santé avec autant d’interét que d’intelligence.

Son humeur etoit d’une egalité parfaite. Est ce lui ? disoit elle avec charme, toutes les fois qu’elle entendoit mes pas115. 116 Ah mon Dieu quelle perte pour moi.

Elle est heureuse dans ton sein, helas, disoit fort justement l’autre jour la bonne Mad. Duv[?]117 : si elle n’est pas admise dans le sejour celeste hel nous118 sommes tous perdus119.

Elle me dit un jour dans les derniers tems120 de sa maladie : Dieu nous bénira121 je ne souffrirai plus et en effet depuis cet instant elle n’eut plus de douleurs. Ses rapports avec le ciel par sa vertu et par sa pieté m’ont souvent frappé et mon tendre respect y croyoit très souvent.

Dans quel vuide je suis jetté je n’ai plus de confident je n’ai plus ce compagnon cet ami122 qui faisoit route avec moi dans le voyage de la vie.

Elle se hâtoit de me faire dire123 qu’elle etoit mieux lorsqu’une <u’elle>124 etoit soulagée par quelque crise, elle savoit qu’elle avoit besoin d’appaiser les inquietudes d’un autre elle même. Pauvre amie tous mes interéts sont finis. Helas, helas tu n’es plus.

Sur la fin de ses jours elle ne pouvoit souffrir que j’étayasse ses esperances par l’idée de la justice de

[f.3r°]

<Dieu> cétoit toujours de sa clemence et de sa bonté qu’elle vouloit que je lui parlasse. Helas etoit elle tourmentée par quelque crainte par quelque scrupule dont je n’aurois pas eu le bonheur d’etre le confident et le consolateur. Chere amie une seule de tes pensées que j’aurois manqué l’occasion d’adoucir, seroit un sujet de peine et de remords pour mon coy cœur125.

Que je suis malheureux encore de toutes les difficultés que presententen le126 monument et ses dernieres volontés à cet egard ; mais je ferai mille efforts pour les surmonter127. Oh que de choses je128 ne lui ai pas dites, que de sentiments dont la privation vient cruellement m’avertir !

Je ne puis oublier le torrent de larmes qu’elle repandit à Arcy sur Aube <lorsqu’un homme du lieu> se permit129 quelques propos dont ma delicatesse pouvoit étre offensée130.

Mon dieu quel air doux et resigné elle avoit ce jour où un os de poisson s’arrêta dans sa gorge et me fit trembler ! elle restoit à table et me regardoit.

Dans quel etat je fus lorsqu’elle me fit appeller une heure aprés avoir couru le plus grand danger par le feu qui avoit pris à son bonnet131 et avec quelle douceur avec quelle reconnoissance envers le ciel elle parloit de son accident.

Je crains la mort me dit elle une fois j’aime la vie

[f. 3v°]

avec toi. Nous passerons encore quelque tems ensemble me dit elle après une crise heureuse au commencement de sa maladie.

Avec quel interèt avec quelles132 douces exhortations elle distribuoit chaque mois ses charités. Priez Dieu pour Mr Necker disoit elle toujours.

O mon Dieu que ses vertus me servent de protection auprès de vous133 ! C’est quelque chose que vous m’ayez choisi pour garder son bonheur sur la terre.

Elle connoissoit très bien les hommes et distinguoit surtout parfaitement ceux dont la moralité étoit plus ou moins affermie.

Que de fois elle m’a dit le ciel nous avoit fait134 l’un pour l’autre.

Elle insista auprés de Mr Duchatel135 pour une seule corbeille de marbre ; elle ne vouloit pas que rien nous separât dans le tombeau. J’ai mes diamants disoit elle quand il lui parla de la depense136.

[plusieurs mots illisibles137]

Quand je lui parlois138 de quelque soin qu’il falloit prendre pour sa santé de quelque inconvenient qu’il falloit eviter, c’est ton affaire disoit elle toujours

Tous les matins lorsquelle etoit entrée dans son bain on venoit me dire — madame vous attend — oh parole que je n’entendrai plus !

[f. 4r°]

Comme elle avoit epousé ma fortune et avec quelle attention entiere et charmante elle faisoit ces ses comptes. Elle m’a dit, elle croyoit, qu’elle seroit autour de moi après sa mort.

Ah ma cecile139 que de sentiments dont je regrette de ne t’avoir pas entretenue. Mon Dieu arriveront ils aujourd’hui de mon cœur jusqu’à elle. O Source inepuisable de regrets et de larmes !

Helas je n’ai plus d’amis. Je vois plus que jamais combien elle etoit unique sur la terre pour moi.140

C’est à elle c’est à ses instances que je dois d’etre sorti de France et141 un peu plus tard il n’eut été plus tems j’eusse été la victime des tyrans et peut être elle. méme… Je ne puis exprimer142 cette idée, ah le ciel l’eut toujours protegée.

Pensée cruelle ! C’est surement vers la fin de sa vie que la pensée143 de mon amie etoit le plus remplie le plus agitée et alors elle ne pouvoit s’expliquer, ses forces lui manquoient et je n’osois l’<r>approcher144 la conversation de son danger ainsi c’est lorsqu’elle avoit peut ètre le plus besoin d’epanchement qu’elle n’a tirè aucun secours service145 de son fidele ami

Me[?]146 défiant de moi même et des autres nulle autre femme n’auroit pu me convenir.

Helas avec qui parlerai je de ce dieu que j’aime

[f. 4v°]

et dont je cheris l’idée ?

On m’a parlé de me remarier ah la mort mille fois et mille fois plutôt que cette horrible idée.

Il me souvient encore des pleurs qu’elle repandit <lorsqu’elle vit sur mon visage les premiéres traces du tems> lorsque je perdis une dent147

[plusieurs mots illisibles148]

Comme elle parut heureuse ce jour où je revins à elle en larmes après avoir fait un diner seul pendant qu’elle etoit malade.

Avec quelle douceur poignante pour mon cœur elle me demanda un jour si je lui permettois de vendre des medailles pour un objet de dépense particulier à elle au moment où ma fortune de france fut perdue.

Je voudrois, disoit-elle à ses femmes dans les dernier tems de sa maladie qu’il ne suivit pas mon corps à coppet mais il voudra venir. Ah oui, ah oui il le voudra il y sera toujours.

Adieu mon enfant dit elle à sa fille dans ses derniers moments149.

D’un mot moins sensible qu’à l’ordinaire j’eusse plongé150 un poignard dans son sein.

[151]

Elle <se> seroit152 laissé manquer de tout si je ne l’avois pas prévenue.

[153]

La plus petite absence elle ne pouvoit en supporter154 l’idée. Notre union etoit de cette nature. Elle est finie sur la terre155.

[f. 5r°]

156Peu de jours avant sa mort elle disoit de moi à Mr Duchatel voilà l’incomparable.

Je n’ai jamais pu songer sans verser des larmes au tems qu’elle avoit passé dans la plus etroite situation de fortune. Où etois je mon amie me disois je avec une profonde douleur. Où etois je ?

Je me suis dit cent fois que si revenant d’un voyage j’apprenois que par une conduite inconsiderée tu avois perdu tout mon bien je serois sauté à ton cou pour te consoler, et si que si cet accident m’avoit valu un degré de tendresse de plus de ta part, j’aurois gagné en bonheur.

J’aurois[?] trouvé le plus grand charme à <la plus douce fin de la vie pour moi eut été de> fermer mes yeux avec les siens et à <d>’ètre ensuite liès ensemble et jettés dans le lac.

1 Jacques Necker, « De l’union conjugale », Cours de morale religieuse, Œuvres complètes de M. Necker, publiées par M. le baron de Staël, son petit-fils, Paris, Treuttel et Würtz, 1821, t. 13, p. 319. 

2 Ce dossier contient encore les textes suivants : « Entretien avec moi meme » et « Entretien avec moi même : Motifs pour ou contre mon retour en France ».

3 Confortations against me consiste en quatorze feuillets — certains laissés en blanc — dans le brouillon et quatre feuillets dans sa version finale, tandis que Pour moi, <her merits> forme un ensemble de huit feuillets dans le brouillon et cinq dans la version au propre.

4 La présence de l’anglais dans ces titres, et d’un anglais approximatif dans le premier cas (« confortations » ne renvoie à aucun substantif connu en anglais et correspond sans doute à une variation sur les mots comfort/comforting ou encore confrontation), n’a pas encore été élucidée. S’agissait-il de dissuader quelque lecteur indiscret ? Ou encore d’opérer une forme de mise à distance par le biais d’une langue étrangère ? L’interrogation demeure entière.

5 Voir notamment André Corbaz, Madame Necker. Humble Vaudoise et Grande dame, Lausanne, Payot, 1945, p. 214-216 ; Rosalynd Pflaum, La Famille Necker, Madame de Staël et sa descendance, traduit de l’anglais par Delphine Marchac, Paris, Fischbacher, 1969, p. 173 ; Ghislain de Diesbach, Necker ou la faillite de la vertu, Paris, Perrin, 2004 [1978], p. 409 ; Jean-Denis Bredin, « Necker, la France et la gloire », Cahiers staëliens, n° 55, 2004, p. 26-27.

6 Germaine de Staël, « Du caractère de M. Necker, et de sa vie privée », Manuscrits de M. Necker, publiés par sa fille, Genève, Paschoud, An XIII (1804), p. 110-111.

7 Germaine de Staël décrit ces circonstances (ibid., p. 107-109)  : « Ma mère mourut : ce ne fut point par l’égarement du désespoir que se peignit une douleur qui devoit durer autant que la vie : mon père exécuta dès le premier moment les dernières volontés de ma mère pour sa sépulture, avec une présence d’esprit qui appartenoit sûrement à une sensibilité bien plus profonde, que celle qui se manifesteroit seulement par le trouble ; à une sensibilité qui concentroit toutes les forces pour accomplir tous les devoirs. […] On a beaucoup parlé des soins que ma mère avoit apportés à son tombeau ; elle avoit vu d’affreux exemples des inhumations précipitées, en s’occupant des hôpitaux, et son imagination en avoit été frappée ; elle attachoit d’ailleurs un prix extrême à la certitude que ses cendres seroient réunies à celles de mon père, et sa passion pour lui, embrassoit aussi cet avenir […]». Voir également une lettre à Meister (Correspondance générale, éd. Béatrice W. Jasinski, Paris, J.-J. Pauvert, t. 3 (1re partie), 1968, « À Henri Meister, Lausanne, 18 mai [1794] », p. 1-2) : « Vous avez su le malheur qui a accablé mon père. Mais peut-être ne savez-vous pas que ma mère a donné des ordres si singuliers, si extraordinaires, sur les différentes manières de l’embaumer, de la conserver, de la placer sous une glace dans l’esprit de vin, que si, comme elle le croyait, les traits de son visage eussent été parfaitement conservés, mon malheureux père eût passé sa vie à la contempler. »

8 Confortations against me, dossier Réflexions de Necker après la mort de sa femme, archives de Coppet, f. 2v°. Désormais, nous emploierons le sigle CAM et les références seront données dans le corps du texte, entre parenthèses. Sauf indication, toutes nos citations proviennent de la version finale.

9 Pour moi <her merits>, dossier Réflexions de Necker après la mort de sa femme, archives de Coppet, f. 3r°. Désormais, nous emploierons le sigle PM et les références seront données dans le corps du texte, entre parenthèses. Sauf indication, toutes nos citations proviennent de la version finale.

10 Voir à ce sujet l’article très informé de Jean-René Bory, « Le tombeau de Mme de Staël », Colloque de Coppet : Madame de Staël et l’Europe (18-24 juillet 1966), Paris, Klincksieck, 1970, p. 126.

11 On portera notamment attention au fait que trois fragments apparaissant dans le brouillon de Confortations against me n’apparaissent pas dans la version au propre mais ont plutôt été déplacés dans la version finale de Pour moi <her merits>. La lecture attentive des deux états de ces fragments, où des corrections et reformulations sont visibles, prouve selon nous l’antériorité de Confortations against me (voir en appendice, CAM, note 69 et PM, f. 5r°).

12 Voir en guise d’exemples CAM, f. 3r° : « […] pendant son danger pendant sa maladie je n’ai pas été aussi malheureux qu’à present » ; id. : « Je n’ai jamais pleuré auprès de son lit aussi amerement aussi continuellement que je pleure » ; ibid., f. 4r° : « […] je n’ai pas été constamment à la même hauteur de sentiment lorsque je te possedois. »

13 On note également quelques emplois de la troisième personne du singulier, en particulier lorsque Necker énumère les habitudes de sa compagne en répétant la formule « Ma tendre amie […] » (voir CAM, f. 1v°-2r°).

14 « Je me rappelle qu’à ton amour si profond pour ta mere il se joignoit aussi quelque leger remords tu ne me l’as jamais expliqué mais j’ai compris que tu n’avoits pas toujours pu contenir l’expression de ta peine en te soumettant à un genre d’occupation <de vie> necessité par nvotre fortune mais si contraire à tes gouts. Je t’ai ouï dire une fois que tu avois tant pleuré tant prié que tu etois sure d’avoir obtenu ton pardon Helas en avois tu besoin ? Mais enfin la misericorde du ciel est infinie et c’est à cette même misericorde que je m’adresse et je le fais sous tes auspices » (CAM, f. 3v°-4r°).

15 Les écrits auxquels Necker fait ici référence correspondent à des lettres rédigées par Madame Necker à l’intention de son époux et devant être lues immédiatement après sa mort (voir Gabriel-Paul-Othenin d’Haussonville, Le Salon de Madame Necker, Paris, Calmann-Lévy, 1882, t. 2, p. 293.)

16 Voir à ce sujet notre ouvrage La Lettre et la mère. Roman familial et écriture de la passion chez Suzanne Necker et Germaine de Staël, Québec/Paris, PUL/Hermann, 2013.

17 Germaine Necker, « Mon journal », Cahiers staëliens, n° 28, 1980, « Le 11 [11 août 1785.] », p. 71.

18 Voir en particulier, en appendice, les notes 5, 7, 38, 57, 58 et 132.

19 « dune maniere assez[?] <aussy> forte »

20 « Ciel ». Apparaît toujours avec une majuscule dans les deux brouillons.

21 « n’ont pas <eu> un degré »

22 « me faire <et> si<l> je ny y<a> jamais eu <un> moment »

23 « dans mon amour extreme et dans le sentiment »

24 Jacques Necker a épousé Suzanne Curchod en 1764.

25 « du bonheur de ma vie <mon amie> »

26 « indicible pour moi de luy »

27 « je ne me rappelle icy »

28 « pour atteindre moi même[?] a un but »

29 « avec <un> charme »

30 « par la <une meme> reciprocite »

31 « venue [sic] »

32 « <soit> d’attention pour sa santé ou <soit> dun »

33 « je[?]<ai> n’ai toujours <caché> les circonstances »

34 « desiré [illisible] <de> passer »

35 Dans la version finale, « aux émigrés » avait été biffé de façon à rendre le segment illisible, avant que le paragraphe entier ne soit rayé de quelques traits.

36 « Elle se bles Ma tendre amie se blessoit aisement »

37 Début d’un nouveau paragraphe dans le brouillon.

38 « le calme. St-Ouen ».

39 Dans le brouillon, ce paragraphe (de « J’avois fait un ouvrage […] » à « trop simple pour étre compté. ») apparaît plus bas et précédé du sous-titre « Actions encore » (voir ci-dessous, note 69).

40 Necker réfère ici à la confection du tombeau (voir notre introduction, notes 8 et 11).

41 « je me serois remis[?] <determiné> »

42 « pour prolonger sa vie »

43 « Je me suis presente quelquefois »

44 « mere cherie p<en> »

45 « avec delices qu’[illisible] que si »

46 « avec delices transport. »

47 « renoncer un bonheur eternel bonheur »

48 « non seulement a la perte de toute ma fortune mais au supplice de la roue »

49 « J’adore son ame <image> & mon amour pour elle est<a> un melange de culte »

50 Suivi d’un trait et d’un signe biffé illisible (« D6[?] ») dans le brouillon.

51 Début d’un nouveau paragraphe dans le brouillon.

52 « mais cest Nest-ce pas »

53 « ma tendre ami [sic] »

54 « Je nai pas pleuré »

55 « au premier essort pour »

56 « cela vient de ce quelle ne ma <presque> jamais dit un mot sensible »

57 « Je suis sur qu’un seul de ces mots m’eut ouvert le cœur meut inondé de larmes »

58 « chanta sur le clavecin »

59 « lair dŒdipe a sa fille je versai »

60 La même scène sera racontée en 1804 du point de vue de Madame de Staël (« Du caractère de M. Necker, et de sa vie privée », op. cit., p. 106-107) : « Ma mère aimoit à entendre la musique pendant sa maladie : et chaque soir elle faisoit venir des musiciens, afin que l’impression causée par les sons, entretint son âme dans les pensées élevées, qui seules donnent à la mort un caractère de mélancolie et de paix […]. Une fois pendant le cours de sa maladie, les musiciens manquèrent ; et mon père m’ordonna de jouer du piano : après avoir exécuté quelques pièces, je me mis à chanter l’air d’Œdipe à Colonne, de Sacchini, dont les paroles rappellent les soins d’Antigone : Elle m’a prodigué sa tendresse et ses soins, / Son zèle dans mes maux m’a fait trouver des / charmes, etc. Mon père en l’entendant versa un torrent de pleurs : je fus obligée de m’arrêter, et je le vis pendant plusieurs heures aux pieds de sa femme mourante, s’abandonner à cette émotion profonde, à cette émotion sans contrainte, qui faisoit d’un grand homme, d’un homme si rempli de grands intérêts et de hautes pensées, seulement un cœur sensible, seulement un cœur tout pénétré d’affection et de tendresse. »

61 Dans le brouillon, ce paragraphe (de « Je suis pas ma nature » à « ou à une pensée ») est un ajout dans la marge de gauche.

62 « ou au<a> une pensee. »

63 « dans la nature que des hommes que »

64 « en reunissan toutes vos pensées vers la meme idée vous bouleverse vous penetre davantage »

65 « Ne joins donc pas je te le dis au nom de ta bienfaisante amie ne joins pas des reproches a tes affreux regrets combien de fois cette incomparable <femme> ne ta-t-elle pas averti en dautres circonstances que tu navois pas de plus grand ennemi que ton imagination combien de fois n’est-elle <pas> venue efficacement a ton secours. »

66 « que ton souvenir sois [sic] »

67 « qu<’>e<a> dans ton amour »

68 « jamais expliqué vmais jai compris que tu n’avois pas ete toujours pu contenir la <lexpression de ta> peine que[?]<en> te toccasionoit les <soumettant a un> genre doccupation au quel necessité par votre fortune mais si contraire a tes gouts. » Necker réfère ici aux leçons que Suzanne Curchod s’est vue contrainte de donner afin de subsister avec sa mère après le décès de Monsieur Curchod, en janvier 1760 (voir Gabriel-Paul-Othenin d’Haussonville, op. cit., t. 1, p. 85 et suiv.). 

69 « tu etois sure que[?] davoir »

70 « et comme je te vo[?] <je le fais> sous tes auspices. »

71 « ma nature morale entierement epurée »

72 « tel que je suis le Ciel »

73 « Paradis »

74 « et c’est ce sentiment mouvement passioné »

75 « pas ete <constamment> a la meme hauteur »

76 « te montrant à mes yeux depouillée des petites[?] dans toute la beauté »

77 « de n’avoir pas senti joui autant que je le pouvois de cette <dune> faveur du Ciel »

78 « si javois tort de minquieter ainsy ; ta[?] mes doutes »

79 « que tu mentend [sic] »

80 « O chere amie »

81 « recois mon[?]<oï> »

82 Voir notre introduction, note 16.

83 « de <ton> cœur »

84 « tes sentiments. »

85 « tout ce que jai fait tout ce que jai senti pour toi »

86 « leffet [illisible] <inevitable> de notre foible nature ? » 

87 La version finale se conclut sur ces mots. Nous retranscrivons ci-dessous les fragments sur lesquels se conclut le brouillon, et qui seront relocalisés ailleurs dans les versions finales (voir nos indications entre crochets pour chaque fragment) :

Peu de jours avant sa mort elle disoit de moi a M du chatel voilà lincomparable [retranché de la version finale ; apparaît dans PM, f. 5r°]

Je nai jamais pu songer sans verser des larmes au tems quelle avoit passe dans la plus etroite situation de fortune. Où etois-je mon amie me disois-je avec un <une> profonde douleur. Ou etois-je ? [retranché de la version finale ; apparaît dans id.]

Actions encore

Javois fait un ouvrage sur.. je desirois de le rendre public tu me fis connoitre par un mot que tu verrois avec peine ce petit danger de plus pour notre fortune et sur le champ je renonceai a mon idee et avec[?] <je le fis> sans montrer sans ressentir la moindre peine.

Avec quelle exactitude avec quelle religion jexecute ses derniers [sic] volontés mais cela est trop simple pour ètre compte. [Les deux fragments précédents apparaissent plus haut dans la version au propre et dépouillés de leur sous-titre « Actions encore » (voir CAM, f. 2v°)]

Pensées encore

Je me suis dit cent fois que si revenant dun voyage japprenois que par une conduite inconsiderée tu avois perdu tout mon bien je serois sauté a ton cou pour te consoler et que si cet accident m’avoit valu un [illisible] <[illisible]> <degré> <de tendresse> de plus de ta part jaurois gagné en bonheur. Jaurois voulu trouvé [sic] le plus grand charme a [plusieurs mots illisibles] fermer mes yeux avec les siens et a etre ensuite liés ensemble & jettés dans le lac. [retranché de la version finale ; apparaît dans PM, f. 5r°]

Once[?]

hehaviour [sic] [retranché de la version finale, ce mot biffé (sans doute behaviour) apparaît à l’endos de la dernière page du brouillon]

88 Le brouillon est simplement intitulé « Pour moi »

89 « O si le tems »

90 « étoit gravé »

91 « pour me dire »

92 « elle me recommande »

93 « en faveur de sa »

94 « Ses conseils et[?]<a> sa fille ». Ces conseils réfèrent sans doute à l’une des « deux lettres à [s]a fille écrites en differents tems » (« N°8 Role ce 12 8[ou 9?]bre 1792 et revu à Lausanne le 6 janvier 1794 », Dossier relatif à l’embaumement de Madame Necker, archives de Coppet, f. 2v°) et déposées par Madame Necker parmi les documents qu’elle souhaitait léguer à son époux après sa mort. On trouve la transcription de la lettre en question chez le comte d’Haussonville (Le Salon de Madame Necker, t. 2, p. 55-57) ou encore dans notre ouvrage La Lettre et la mère […], p.158-159 : « Écoute avec attention, mon enfant, les derniers conseils et les derniers ordres de ta mère. […]. »

95 « luy recommander de soccuper du bonheur de ma vieillesse »

96 « qu’elle prendra a reparation <ou a reconnoissance> »

97 « luy<a> rendoient »

98 « passé <et> jamais »

99 « l’amour et la reconnoissance <devotion> »

100 « étoient etoient aussy »

101 « d’intervale que la[?]<qu’aux> »

102 « Elle sest decidé [sic] »

103 Germaine Necker évoque cet abandon maternel des lettres dans « Mon journal » (« le 10 aoust [10 août 1785.] », p. 70) : « Maman avait fort le goût de composer, elle le lui a sacrifié. “ Représente-toi, me dit-il [Necker] souvent, quelle était mon inquiétude ; je n’osais entrer chez elle de peur de l’arracher à une occupation qui lui était plus agréable que ma présence. Je la voyais dans mes bras poursuivre encore une idée” ».

104 Début d’un nouveau paragraphe dans le brouillon.

105 « qu’elle consideroit »

106 Voir Gabriel-Paul-Othenin d’Haussonville, Le Salon de Madame Necker, t. 2, p. 289-290 : « Pardonne, oh ! mon ami ! c’est peut-être la seule occasion sur la terre où je me suis préférée à toi ; mais, je te l’avoue, je prie mon Dieu […], je le conjure de me faire mourir avant toi, et dans tes bras ».

107 Début d’un nouveau paragraphe dans le brouillon.

108 « Le tonnerre nous effrayoit quand nous etions separès, je retrouvois le calme et elle aussy dès que nous étions près l’un de l’autre »

109 Début d’un nouveau paragraphe dans le brouillon.

110 « en me rappellant toujours »

111 « elle [m[ ?]illisible] etoit »

112 « son approbation »

113 « Elle n’a<e> <s’est> jamais »

114 Retranché de la version finale (la phrase est biffée dans le brouillon) : « Elle avoit une decision dans lesprit qui secouroit continuellement mes incertitudes »

115 « Son humeur etoit dune egalite parfaite <est-ce luy disoit-elle avec charme toutes les fois quelle entendoit mes pas.> »

116 Ajouté dans la marge de gauche et biffé : « Ils se choisirons[?] tous les jours »

117 « l’autre jour M<la> bonne Mad Duv »

118 « admise au sejour celeste nous »

119 Necker reprend cette anecdote dans sa préface aux Mélanges (Jacques Necker, « Observations de l’éditeur », Mélanges extraits des manuscrits de Madame Necker, Paris, Pougens, 1798, t. 1, p. xv ; souligné par l’auteur) : « […] j’ai gravé dans mon cœur ce mot d’une femme de campagne, qui disoit en la pleurant : Si celle-là n’est pas reçue en paradis, nous sommes tous perdus. »

120 « vers les derniers tems »

121 « Dieu nous benira »

122 « ce confident <compagnon> cet ami »

123 « Une fois Elle m[?]<se> faisoit hatoit de me faire dire »

124 « etoit mieux lorsquelle »

125 « et de remord pour mon cœur »

126 « toute les difficulté [sic] que presentent les<e> »

127 Début d’un nouveau paragraphe dans le brouillon.

128 « Oh que de choses que je »

129 « Arcy Sur Aube lorsqu’un homme du lieu se permit »

130 Necker fait ici référence au voyage très périlleux de Paris à Coppet suivant sa démission, le 3 septembre 1790. Suzanne Necker écrit dans son journal (dossier Pensées diverses de Madame Necker, archives de Coppet, feuillet détaché, r°) : « nous avons échapé à la fureur du peuple à paris à Arcis et à vesoul. »

131 Madame Necker raconte cet incident dans son journal (ibid., v°) : « j’ai été sur le point d’etre brulée toute vive ; et sans un miracle du ciel je n’aurois pû echaper. » Voir également Germaine de Staël (Correspondance générale, t. 1 (2e partie), 1962, « À M. de Staël, Coppet, 29 octobre [1790] », p. 381) : « Un horrible accident a manqué d’arriver à ma mère. Elle était dans cet état de nerfs que tu connais et que notre solitude augmente, quoiqu’elle ne cesse de dire que c’est un vrai paradis, parce qu’il faut avoir eu raison d’y être venue. Le feu a pris à son chapeau d’une si terrible manière qu’au moment où ses femmes sont heureusement accourues pour la secourir, elle avait déjà une partie des cheveux et même de la peau du front brûlée. Ce n’est rien du tout aujourd’hui, mais rien n’était plus tragique hier. Quand nous sommes arrivés dans cette chambre, mon père et moi, ma mère nous a fait ce récit avec une solennité, s’il est possible, plus effrayante encore que le danger même. Mon pauvre père fondait en pleurs, de l’événement et du récit, moi de l’événement seul. Cette scène nous a cependant rapprochées l’une de l’autre ».

132 « Avec quelle<l> interest avec quells [sic] »

133 « près de vous »

134 « nous avoit faits »

135 « M du Chatel »

136 « dans le tombeau. <Jai mes diamants, <luy> disoit-elle quand il luy parla de la depense> »

137 Le brouillon présente la phrase suivante : « Je nai plus damis je suis seul sur la terre ».

138 « Quand elle je luy »

139 Il nous est pour l’instant impossible d’identifier cette référence.

140 « Helas je nai plus damis plus de confident je vois plus que jamais combien elle etoit unique sur la terre pour moi. Elle disoit souvent le Ciel nous a faits lun pour lautre » La dernière phrase biffée apparaît sous une forme similaire ci-dessus (voir f. 3v°).

141 « france [illisible] et »

142 « des tyrans et peut-être… Je ne puis exprimer »

143 « que les<a> pensée »

144 « je n’osois la rapprocher »

145 « n’a tirè aucun service »

146 La version au propre et le brouillon indiquent « Nè » plutôt que « Me »

147 « quelle repandit le jour que je perdis une dent <Chemise> »

148 Le brouillon présente la phrase suivante, retranchée de la version finale : « Personne ne partage ma situation et mes interests sur laffaire de mon ouvrage ». À cette époque Necker rédige et achève son essai De la Révolution française, qui ne paraîtra qu’en 1796.

149 « dans ses derniers moments. Reveil »

150 « Dun mot moins sensible <quà lordinaire> jeuse plongé »

151 « Elle ne sauroit[?] pas assez sur les »

152 « Elle se seroit »

153 « Quelle joye elle eut le jour où je[?]<après> avoir diné seul je revins a elle les larmes aux yeux ». Cette phrase apparaît sous une forme similaire ci-dessus (voir f. 4v°).

154 « elle ne pouvoit la<en> supporter »

155 « Helas elle est finie sur la terre ! » Le brouillon s’achève sur ces mots.

156 Les quatre fragments suivants, qui apparaissaient dans le brouillon de « Confortations against me », ne sont pas inclus dans le brouillon du présent texte.

Catherine Dubeau

University of Waterloo (Canada).

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