Germaine de Staël, une source jamais tarie pour notre temps

Lucien Jaume

p. 81-100

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Lucien Jaume, « Germaine de Staël, une source jamais tarie pour notre temps », Cahiers Staëliens, 67 | 2017, 81-100.

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Lucien Jaume, « Germaine de Staël, une source jamais tarie pour notre temps », Cahiers Staëliens [En ligne], 67 | 2017, mis en ligne le 15 avril 2019, consulté le 14 octobre 2024. URL : https://cahiersstaeliens.edinum.org/158

« La liberté n’est autre chose que la morale en politique »
Mme de Staël, manuscrit des Considérations

Répondant à l’invitation des Cahiers staëliens, je me trouve dans l’hypothèse d’une « ego histoire », dont je n’ai pas l’expérience, et dans la nécessité d’expliquer en quoi la pensée de Germaine de Staël, que j’ai découverte tardivement (en allant sur les 45 ans), reste pour moi une révélation et un repère capital ; de montrer aussi son apport indispensable pour aujourd’hui – dans le grand tournant politique que la France est peut‑être en train de vivre en termes de libéralisme modéré et de responsabilité individuelle assumée.

Si j’essaye de présenter ce qui fut la deuxième phase de ma recherche – après la Révolution, les droits de l’homme, le jacobinisme, dans les années 1990, en lien avec François Furet –, le projet était de passer de l’étude du jacobinisme à celle du libéralisme en France, en faisant l’hypothèse d’une école opposée point par point. Ce nouveau parcours intellectuel m’a conduit de Mme de Staël, sous l’inspiration de Simone Balayé, à Benjamin Constant, que j’ai réunis au sein de ce que Simone appelait le Groupe de Coppet, puis à Tocqueville ; ce dernier auteur, que Furet m’avait fait découvrir, ne devait, dans mon esprit, que venir à la fin de cette recherche patronnée par le CNRS, car je redoutais les complexités subtiles de Démocratie en Amérique. Effectivement, si le livre sur le libéralisme a été publié en 1997 (L’Individu effacé ou le paradoxe du libéralisme français), celui sur Tocqueville a attendu 20081. J’ai donc achevé cette trajectoire en presque vingt ans, et je constate avec plaisir que, bicentenaire aidant, Mme de Staël revient maintenant en pleine actualité. La question principale que j’ai suivie de Mme de Staël à Tocqueville était celle de l’autorité légitime, et de l’obéissance légitime à l’autorité. On retrouvait par là diverses thématiques du Groupe de Coppet : la liberté, les liens entre l’homme et le citoyen, les Lumières indispensables et l’éducation, le problème du despotisme du type 1793 ou de celui de Napoléon ; l’Europe enfin, qu’il ne faut nullement oublier, car de grandes pensées comme celles de La Boétie, ou de Locke avec son « appel au ciel », ont insisté sur la nécessité de la résistance au pouvoir illégitime, voire de la révolution. Or, ces grandes pensées sont au cœur de l’histoire de la culture européenne, dans laquelle il faut signaler aussi le splendide mythe d’Antigone qui préfigurait ces réflexions sur la liberté de penser et d’agir2.

Si la question de l’autorité a donc guidé les travaux publiés dans cette période, il reste cependant à dire pourquoi j’ai « rencontré » Mme de Staël (grâce à Simone Balayé et Othenin d’Haussonville) au point de nouer avec elle un véritable dialogue, tant elle me parlait. Deux raisons au moins m’apparaissent aujourd’hui. L’expérience qu’elle avait eue de la violence humaine a beaucoup compté ; elle lui a prêté une attention permanente sous l’effet des séismes de la Révolution et de l’Empire, dans le souci de rationaliser le moment de l’irrationnel, du déchaînement, et ce afin de conquérir l’indépendance de l’esprit, une notion qu’elle évoque souvent depuis son essai, publié à trente ans, De l’Influence des passions sur le bonheur des individus et des nations ; ce titre déjà, qui reliait la question d’une sagesse individuelle à celle qu’on peut attendre du collectif, me paraissait un défi assez inattendu et qui appelait la réflexion. De plus, chez Germaine de Staël, la question de la violence est aussi bien celle des passions que celle de la guerre, ou du régime politique et des conflits partisans, mais le point de départ est dans la vie affective et passionnelle de l’individu. C’est sur cet enjeu qu’elle va rompre progressivement avec la philosophie des Idéologues et leur déterminisme rigide (Destutt de Tracy) ou leur sensualisme qui suppose l’âme passive (chez Condillac et ses disciples comme de Gérando). Le projet autoritaire que poursuivaient les Idéologues (une domination par les esprits « éclairés ») confirmait leur conception utilitariste, voire matérialiste, de l’être humain. Tocqueville va passer par ce chemin, mais fera ici un choix opposé à Germaine de Staël : il opte pour « l’intérêt bien entendu » tel que le pratiquent les Américains. Cet intérêt bien entendu qu’un chapitre vigoureux de De l’Allemagne avait pris pour cible.

Ma deuxième raison était la préoccupation de Mme de Staël – et de tout le Groupe de Coppet – pour la liberté des Modernes, c’est‑à‑dire son attitude devant ce que Tocqueville caractérisera ensuite comme « individualisme » à forme ambivalente ; selon De la démocratie en Amérique, l’individualisme peut se rendre utile à la société ou tourner à l’égoïsme (deuxième volume, partie II, chapitre 2). La question qui reste la nôtre aujourd’hui est celle des relations entre l’homme et le citoyen : complémentarité, tension, fusion ? Avec Benjamin Constant, Mme de Staël s’interroge sur le lien qui peut être tissé dans la société moderne avec l’intérêt public (ou intérêt général), à condition de ne pas soumettre l’individu aux partis (chapitre capital de l’essai sur les Passions), au fanatisme (1793) ou à la servitude (Napoléon). Les chapitres majeurs pour la philosophie politique dans De l’Allemagne portent sur cette thématique : morale et politique, deux activités distinctes mais inséparables. La contrepartie de la question est que, en protégeant l’indépendance de l’individu, il ne faut pas éteindre chez le citoyen le sens de « la plus haute dignité morale » – formule de Constant –, pour tout sacrifier aux « jouissances privées3 ». J’ai montré ailleurs que Tocqueville reprend le problème à l’identique dans l’introduction à Démocratie en Amérique, puis vingt ans après, devant le coup d’État de Louis‑Napoléon Bonaparte, réécrit ces passages à la tonalité clairement staëlienne : voyez l’avant‑propos à L’Ancien Régime et la Révolution.

Par une progression en spirale de l’Histoire, ces deux préoccupations (la violence, l’insertion dans la vie sociale et politique) étaient revenues solliciter la génération née en 1946 : l’enthousiasme suscité en 1968, avec la critique de la « société de consommation » et les illusions lyriques autour de « l’imagination au pouvoir », la sympathie pour les peuples du Tiers‑Monde (comme on disait), le Vietnam, Cuba, l’impact ensuite de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine, débutée en 1966 et complètement mythifiée, la montée de la gauche au pouvoir en 1981 (avec F. Mitterrand promettant de « changer la vie »), les critiques antisoviétiques (Soljenitsyne) – tout cela était interprété à partir de Marcuse et des variantes du marxisme et non avec Germaine de Staël, mais une ambiance était durablement installée. Dans le post‑68, cette ambiance mêlait une promesse de libération par le sexe (en même temps que le MLF se fondait), une idée de révolution ou bien de pouvoir de cogestion, de contrôle devant s’exercer dans l’entreprise (CFDT, PSU) – pour aller au‑delà des Lois du ministre Auroux. Voire une utopie autogestionnaire qui promettait la révolution sans violence. En même temps, un éloge passionnel de la violence révolutionnaire, avec quelques passages à l’acte dramatiques (principalement en Italie), conféraient une seconde jeunesse à Jean‑Paul Sartre.

La rencontre avec Mme de Staël pouvait se produire à partir du moment où commençait un recul philosophique et conceptuel : quelle autorité est légitime ? Quelle forme de liberté pour l’homme (et la femme), pour le citoyen (et la citoyenne) ? En sens contraire, le structuralisme dans les sciences sociales tendait à rendre ces questions illusoires et dépassées : l’individu, l’humanisme attaché à la figure de l’homme de la Renaissance, le libre arbitre n’étaient plus que des représentations idéologiques. Foucault avait prononcé, peu avant 1968, la « mort de l’homme », dans Les Mots et les choses. Vers 1990, après un doctorat d’État et des livres consacrés à la Révolution française, en travaillant sur la pensée libérale française, je ne pouvais « contourner » la pensée morale et politique de Mme de Staël, qui était cependant reléguée en littérature ; et je ne pouvais l’aborder sans y percevoir le double questionnement sur la violence et sur l’autorité qui avait imprégné ma jeunesse de philosophe et de normalien. J’étais en fait à la recherche d’une éthique du citoyen (que je poursuis encore) et dont Germaine de Staël avait recensé les impasses ou les obstacles à l’intérieur de l’histoire culturelle française. Les ouvrages importants étaient De l’Influence des passions, le livre De la littérature pour une part, et surtout De l’Allemagne. Une fois le message politique et moral compris, et pour quelqu’un qui avait étudié pendant dix ans le jacobinisme4, les Considérations sur la Révolution française ainsi que l’œuvre de Necker prenaient un sens nouveau5.

Ce sont ces apports neckeriens, staëliens et constantiens qui me conduisirent, dans l’analyse du libéralisme français, à l’idée d’un « individu effacé », au double sens du terme : une personnalité que l’on dit effacée et un visage que l’on efface sur le tableau ; par opposition au Groupe de Coppet6, à Laboulaye ensuite et Tocqueville, le « libéralisme par l’État » (Guizot, les doctrinaires, l’orléanisme) n’a pas promu la confiance dans l’individu appuyée sur le constitutionnalisme et le pouvoir judiciaire, mais la gestion par l’élite censitaire, la puissance de l’administration issue de Napoléon. En étudiant la liberté de la presse, les controverses sur le jury criminel, sur la liberté de l’enseignement ou les débats sur le Conseil d’État, on retrouve ce clivage entre le libéralisme au service de l’individu et celui qui ne veut pas affaiblir la tutelle étatique. Face à Guizot en 1819, qui défend l’obligation d’un cautionnement financier pour fonder un journal et pour en raréfier le nombre en province, Constant veut une presse nombreuse, décentralisée, au service de l’individu qui doit se défendre contre le préfet, le maire, l’administration d’État. Le débat est exemplaire pour comprendre, en arrière‑fond, l’importance du choix opéré par Louis XVIII en 1814 et qui a pesé sur toute l’histoire ultérieure : garder les institutions de l’Empire, ainsi que la tutelle sur la société qui les caractérisait7.

Constant, dont l’importance devenait décisive à mes yeux, était bien celui qui avait repris et développé nombre d’idées de Mme de Staël (ainsi que de Necker, comme l’a montré Henri Grange8). Le plus grand livre de Constant, me semblait‑il, est celui qu’il n’a pas publié : le manuscrit des Principes de politique de 1806, très différent de l’ouvrage du même nom paru en 1814. Grâce au travail pionnier d’Étienne Hofmann, qui a édité et commenté ce manuscrit, il devenait plus clair en quoi le citoyen moderne devait, par sa vigilance, toujours se démarquer des options soutenues officiellement et de la place même du pouvoir, aussi bon ce dernier fût‑il ; cela annonçait de manière parfois surprenante la pensée d’Alain au XXe siècle9, le philosophe‑citoyen « contre les pouvoirs ». Car chez ces trois personnalités, la critique d’une forme d’autorité despotique et de la servitude volontaire devant les pouvoirs – même légitimes – est le grand trait commun. C’est Mme de Staël qui l’a clairement énoncé en avant‑propos à De l’Allemagne : le libéralisme est une forme de culture morale indispensable, sans elle on ne peut s’habituer à juger avec liberté ; cette liberté de l’esprit que ni le jeu du marché libre (philosophie écossaise) ni la force des institutions (balance des pouvoirs) ne peuvent remplacer – bien qu’il faille aussi le marché et les institutions. Dans ce passage capital (que les commentateurs ont négligé), l’auteur de De l’Allemagne écrit :

L’étude et l’examen peuvent seuls donner cette libéralité de jugement [souligné par moi], sans laquelle il est impossible d’acquérir des lumières nouvelles ou de conserver même celles qu’on a ; car on se soumet à de certaines idées reçues, non comme à des vérités mais comme au pouvoir10.

Formulation remarquable, car elle souligne cruellement la disposition de nombre d’« intellectuels » à aller dans le sens de l’autorité ou de la majorité ou du lieu commun. Notre époque médiatique me paraissait rester dans cette disposition générale : ne pas bousculer les interprétations reçues. Je peux témoigner que relire le jacobinisme, par exemple, dans les cercles académiques, n’allait pas sans risques, que tel thésard qui s’ouvrait à des analyses non appréciées ne pouvait le faire qu’avec craintes et tremblements. Il y a encore aujourd’hui des silences assourdissants à lire certains mémoires ou certaines thèses : on se soumet « à de certaines idées reçues » non par goût de la vérité mais de la tranquillité.

La libéralité de jugement devenait ma boussole pour interpréter la culture morale du libéralisme du sujet : c’est ainsi que je pouvais baptiser l’école de Staël et de Constant11. Littré avait fait une place à la « libéralité » : « disposition de l’esprit digne d’un homme libre, émancipation de l’esprit hors de ses préjugés ». Littré mentionnait cette citation de Mme de Staël, puis une autre (tirée de Corinne), qui mène à considérer que « libéralité » peut s’assimiler à « libéralisme ». Malheureusement, cet usage linguistique et conceptuel s’est perdu : les libéralités, au pluriel, ne sont plus que financières.

Pour me résumer, je pense que je cherchais, à travers Mme de Staël, le sens que la civilisation européenne avait eu et la raison de ses dévoiements dans les divers « despotismes » que le XXe siècle a pratiqués, en attisant la haine entre les nations. Je méditais la formule donnée dans un court écrit staëlien : « C’est à l’universel qu’il faut tendre, lorsqu’on veut faire du bien aux hommes12 » ; l’universel étant la visée de la philosophie des Platon et des Kant et de toute la métaphysique, il me semblait que c’est véritablement une philosophie morale et politique (souvent inspirée de Kant d’ailleurs) que Germaine de Staël avait proposée à son temps, et qui (re)devient indispensable à notre époque où le sens même de l’humanité de l’homme est profondément mis en question. La « mort de l’homme » dont avait parlé Foucault prend une résonance toute nouvelle à l’ère des biotechnologies et de l’interdit des absolus en morale ou en art. Mme de Staël nous parle (après Kant) de « l’enthousiasme », qui est le sentiment même de la liberté telle qu’on la goûte (quand on ne veut pas la méconnaître) et de notre propension à l’infini.

C’est une conception du sujet philosophique et moral qu’elle développe (de façon plus claire et plus cohérente que Constant), en tant qu’indispensable à la vie des institutions. Car de bonnes institutions non vivifiées par le sentiment intérieur des citoyens restent erratiques ou même lettres mortes : Montesquieu avait écrit qu’« il pourra arriver que la Constitution sera libre et le citoyen ne le sera point » (Esprit des lois, XI, 12). Mme de Staël avait critiqué l’utilitarisme de Bentham13 et le sensualisme des Idéologues pour parvenir à sa conception du sujet ; une conception qu’on peut dire spiritualiste si Victor Cousin n’avait détourné et le mot et l’héritage au profit de la nébuleuse « raison impersonnelle » ; je me retrouvais, mutatis mutandis, son disciple dans la critique du structuralisme, du matérialisme marxiste ou aussi du machiavélisme : trois écoles de refus de la liberté comme libre arbitre. En somme, en cheminant en moi avec elle – et non pas par obéissance à ses idées et sans « libéralité » –, je pouvais la prendre comme guide. Car elle continuait Descartes à ce point de vue (comme elle l’a bien souligné) : ne se prononcer que sur la foi des idées examinées par soi‑même, et selon les clartés qu’on y trouve. C’est ainsi qu’elle voulait être lue.

Pour aborder maintenant en elle‑même la pensée de notre auteure, il paraît logique, tout d’abord, d’étudier le chemin personnel qu’elle nous restitue dans l’essai De l’Influence des passions : de la violence ressentie à l’exigence de la pensée, des passions de la femme souffrante au sujet qu’elle appelle « abstrait ». Staël modifiée par elle‑même, par le travail sur soi. Ensuite, on pourra essayer d’interroger son approche de la citoyenneté, qui tente de mesurer les dangers du concept créé par la Révolution française : de la citoyenneté à la civilité, faut‑il peut‑être dire ? Cet essai d’humanisation de la politique que nous lègue l’héroïne de Coppet permettra de conclure : le message nous concerne encore.

I ‑ La liberté face aux passions

Il est remarquable que, dans son chapitre « De l’esprit de parti14 », Mme de Staël nomme directement Descartes, comme une sorte d’antidote aux poisons sécrétés par l’esprit de parti (nous dirions aujourd’hui esprit partisan). Ce dernier fausse les perceptions mentales :

Quand la pensée est une fois saisie de l’esprit de parti, ce n’est pas des objets à soi, mais de soi vers les objets que partent les impressions ; on ne les attend pas, on les devance, et l’œil donne la forme au lieu de recevoir l’image15.

En d’autres termes, on voit ce qu’on veut voir, il se crée « une sorte de cercle magique … que tout le parti parcourt et que personne ne peut franchir ». Ou l’aveuglement ou l’exclusion : telle est la logique des partis en 1796 selon la fille de Necker. Supposons cependant que, à l’intérieur du parti, on ouvre un autre courant d’idées :

Tenant à quelques principes comme à des chefs, à des opinions comme à des serments, on dirait que vous leur proposez une trahison quand vous voulez les engager à examiner16.

Se tournant vers Descartes qui a beaucoup parlé des opinions reçues et de leur pouvoir sur l’esprit, Germaine de Staël estime que

l’esprit humain ne peut avoir son développement … qu’en arrivant à l’impartialité la plus absolue …, en se faisant comme Descartes, une méthode indépendante de toutes les routes déjà tracées17.

Bien entendu cette position d’impartialité est impossible au plus haut point lors d’une révolution. Le chapitre de De l’Influence des passions consacré à l’ambition analyse la façon dont chacun se perd dans le mouvement révolutionnaire :

On croit influer dans les révolutions, on croit agir, être cause, et l’on n’est jamais qu’une pierre de plus lancée par le mouvement de la grande roue ; … le nom de chef signifie le premier précipité par la troupe qui marche derrière, et pousse en avant18.

On se perd parce que le temps de réfléchir n’est plus donné, les repères fondamentaux sont abolis : « Il n’y a plus dans une nation que ses combattants ; l’impartial pouvoir qu’on appelle le public ne se montre nulle part19 ». Cette impartialité que les sociétés de liberté et d’égalité tentent de respecter sous le nom du Public n’existe plus20 ; en octobre 1792, Robespierre disait qu’il n’y avait plus que deux partis dans la République, les patriotes et les contre‑révolutionnaires21. Le schéma de 1793‑1794 était déjà prêt : amis du peuple contre ennemis du peuple à visages multiples.

Mme de Staël parle d’expérience : en 1794‑1795, juste avant cet ouvrage sur les passions, elle a tenté d’influer d’une part sur les rédacteurs de la Constitution22 et d’autre part sur le rapport entre les partis d’opinion, en souhaitant unir les monarchistes libéraux et les républicains modérés23. Pour elle, toute la question depuis le commencement du bouleversement révolutionnaire est de savoir si le bonheur individuel est l’objet même du législateur. À cela elle répond non, mais il lui faut définir une articulation des domaines ou une hiérarchie. « Dans la science morale de l’homme, c’est l’indépendance de l’âme qui doit être l’objet principal24 ». Visée essentielle qui commande à tout.

Dans De l’Allemagne, la thèse est posée dès le début : « L’indépendance de l’âme fondera celle des États25 ». Plus tard, dans l’ouvrage posthume des Considérations, on peut lire que « c’est dans l’âme aussi que les principes de la liberté sont fondés26 ». Et un manuscrit des Considérations disait, selon Norman King, que « la liberté n’est autre chose que la morale en politique », indiquant donc la fondation a priori de la politique idéale dans le libre arbitre humain27.

L’indépendance de l’âme évoquée dans De l’Influence des passions n’est donc pas en conflit avec une bonne législation et une constitution reconnaissant la liberté des gouvernés, mais elle mène à distinguer l’individuel et le collectif, le privé et le public, le jugement personnel et les doctrines du moment. 

Les législateurs doivent donc compter et diriger les circonstances et les individus chercher à s’en rendre indépendants28.

Cette formulation nous fait apercevoir tout le problème : l’individu ne s’absorbe pas dans le citoyen. Ce dernier obéit aux lois (dont il devrait être co‑auteur, à tout le moins indirect), mais comme va ensuite le développer Benjamin Constant, il est du rôle de l’homme, à côté du citoyen, de peser le consentement apporté à la loi, de juger de sa légitimité, de vérifier sa légalité29. La responsabilité de l’individu comme homme et comme citoyen, dans leur harmonie ou leur conflit, est une responsabilité du plein exercice de la liberté. Elle est la liberté libérale véritable.

Mme de Staël est consciente des objections qu’on lui opposera : la jeunesse notamment ne veut pas « se rendre indépendante des affections des autres30 », toute sa sensibilité la pousse au contraire à vivre avec les autres et dans la pensée des autres, la jeunesse veut participer à un bonheur collectif, qui constitue l’objet du législateur. Nous ne poursuivrons pas la discussion, mais on voit quel œil philosophique Mme de Staël dirige sur l’expérience qu’elle vient de vivre : d’un côté les troubles et les horreurs de la Révolution, de l’autre sa passion pour l’un des acteurs politiques, Narbonne, passion qui la fait encore souffrir et la motive à écrire De l’Influence des passions. Cela aussi se tient en arrière‑fond de cette recherche de l’indépendance individuelle pour l’âme : Mme de Staël s’aperçoit qu’elle trouve dans l’égarement de la passion amoureuse le même esclavage, en fin de compte, qui nourrit ce qu’elle baptise « fanatisme » en politique. C’est pourquoi à la fin du livre (qui devait compter une suite à venir) elle se confesse franchement et atteint par là à un enseignement universel :

En composant cet ouvrage où je poursuis les passions comme destructives du bonheur […] c’est moi‑même aussi que j’ai voulu persuader ; j’ai écrit pour me retrouver, à travers tant de peines ; pour dégager mes facultés de l’esclavage des sentiments, pour m’élever jusqu’à une sorte d’abstraction qui me permît d’observer la douleur en mon âme, d’examiner dans mes propres impressions les mouvements de la nature morale, et de généraliser ce que la pensée me donnait d’expérience31.

Telle est la démarche qui la fait sympathiser avec le doute méthodique chez Descartes dans le domaine de la métaphysique – auteur par ailleurs, il faut le rappeler, d’un Traité des passions. S’examiner pour se « persuader » de l’erreur, de la fausse connaissance (du monde et de soi‑même) dans laquelle elle vit ; atteindre à « une sorte d’abstraction » qui constitue à la fois ce qu’elle appelle ailleurs « la passion réfléchissante » (à propos de Rousseau et de Goethe) et la découverte du Moi abstrait. Ce moi est capable de liberté32 ; il est, si l’on pratique cette démarche d’évasion de l’empirique, des circonstances, le sujet pensant dont Descartes a fondé la découverte en philosophie : ego cogito, ego sum. Ce qui veut dire que l’on peut douter (volontairement) de tout, mais pas de soi comme esprit en train de douter et de méditer et exerçant ensuite sa liberté à la recherche d’évidences à la fois subies et reconnues par l’esprit.

Dès lors, Mme de Staël va être partagée sur les possibilités de l’action politique. Peut‑on vaincre – ou apaiser – la force tellurique des passions dans la cité ? Un problème que Socrate avait souvent rencontré, face à un Thrasymaque (La République), un Calliclès (le Gorgias) ou à ses accusateurs. Parfois elle dira : les sciences politiques sont susceptibles du calcul et de la rationalité calculatrice ; elle est alors disciple de Condorcet et des Idéologues, comme on le voit dans les Circonstances (vers 1798) ou en 1800, dans De la littérature :

Je tiens cette idée comme principale : tout ce qui est soumis au calcul n’est plus susceptible de guerre, parce que les passions n’ont plus de prise sur les vérités rendues mathématiques. Il n’y a point de rivalités, de haines de parti parmi les géomètres, quoique sans doute ils aient de l’amour‑propre comme tous les autres hommes ; l’évidence apaise tout33.

D’autres fois, et c’est le cas dans De l’Allemagne, sa philosophie n’est plus celle de l’analyse, comme on disait depuis Condillac, mais de l’âme, source du libre arbitre, et de la conception de l’enthousiasme, dérivée de Kant34. Le sujet moral kantien, qui postule une liberté d’ordre suprasensible, sait que, pour ce qui concerne le monde social, tel qu’il se donne dans l’espace et dans l’histoire, le jeu des passions est insuppressible et même se trouve doté d’une vertu organisatrice, car de « l’insociable socialité » des hommes, la nature tire la recherche du droit et de la paix (au prix de terribles vicissitudes).

Renonçant à l’axiome illusoire de sa jeunesse selon lequel « l’évidence apaise tout » dans le monde politique, Mme de Staël écrit à la fin de sa vie :

Dans toutes les circonstances de ma vie, les erreurs que j’ai commises en politique sont venues de l’idée que les hommes étaient toujours remuables par la vérité, si elle leur était présentée avec force35.

Non, l’évidence ne peut tout apaiser car il n’y a plus d’évidence intellectuelle pour les souffrances ou bien pour les haines de certains –, voire d’une majorité ; car la démocratie peut nier l’évidence. L’ouvrage De l’Influence des passions constatait que l’esprit de parti est souvent autodestructeur : « Son propre intérêt ne l’éclaire point quand il est entièrement [cet esprit de parti] de bonne foi36 ». Hélas, comme dira le philosophe Alain, « ce qui fait la force des tyrans, c’est la difficulté de penser ».

II – En quête d’une citoyenneté de la civilité

Mme de Staël s’est toujours intéressée, depuis ses lectures de jeunesse chez Montesquieu et Rousseau, à la citoyenneté, tout autant qu’à la liberté, ne pouvant concevoir – à la différence de beaucoup d’aristocrates – la seconde séparée de la première. Sur ce point, la Révolution lui imprime un véritable choc intellectuel : elle a devant elle le spectacle incroyable d’une véritable réinvention du citoyen (la Révolution dit une « régénération37 ») qui, à certains points de vue, devient une perversion de la citoyenneté. Elle l’exprime franchement à la fin du Directoire :

La maladie de la Révolution française, c’est de porter le fanatisme dans le raisonnement et d’admettre la cruauté non seulement par violence, mais par théorie38.

Le terme maladie indique bien qu’il s’agit là d’un phénomène presque tératologique : les droits de l’homme et du citoyen, destinés à ennoblir sa personne et à grandir ses capacités, vont servir à justifier la violence d’une partie de la population contre l’autre partie devenue masse des « ennemis du peuple » ; la Déclaration de 1793 donne le droit de tuer si une personne est perçue comme favorable à la tyrannie : « Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l’instant mis à mort par les hommes libres39 ». Le problème que pose Mme de Staël est, pourrait‑on dire, celui du pharisianisme des droits de l’homme montagnards. On se souvient que, dans l’Évangile, les pharisiens sont décrits comme une secte (pouvant regrouper des scribes et des prêtres) où l’on se veut plus juste, plus pur que les interprètes de la Loi juive et que les simples pratiquants40. Jésus s’attache à montrer que le Pharisien (mais saint Paul en est issu) est un homme qui tue l’esprit de charité en se prétendant supérieur dans sa foi et dans sa lecture de la Loi. Ils sont, selon une formule célèbre, des « sépulcres blanchis » (Mt, 23, 27). Ce formalisme légaliste est donc une couverture inique de l’iniquité, comme également dans le texte de Mme de Staël : « Que répondre donc, dans un pays où le fanatisme est admis comme un ressort politique ? », et où l’en entend des formules comme « Je ne vous ai pas payé, parce que je sais que vous envoyez de l’argent à l’étranger », ou encore : « Je ne vous ai pas secouru, parce que je vous crois aristocrate » ? Et si l’on proteste, ajoute Mme de Staël,

tel homme qui, dans l’ordre naturel des idées n’aurait pas professé l’inhumanité, vous répond tranquillement […] ‘On voit bien que vous n’aimez pas la République41 !’ 

On le sait, cette formulation conduisait au Tribunal révolutionnaire (en 1793‑1794) ou à la déportation en masse (seconde Terreur, du Directoire). Dans ce contexte, Mme de Staël avance la notion qu’elle a souvent développée : le sentiment de sympathie avec celui qui est une victime des dirigeants : « Avoir pitié du malheur, ce n’est pas aimer la République42 ! ». Cette sympathie fondée non pas sur l’égalité et l’identité entre les individus, mais sur la différence de statut, de ressources et de bonheur, Rousseau l’avait appelée la pitié43. Le drame de l’époque révolutionnaire est que la pitié ne peut plus être reçue – au nom de la citoyenneté, qui exige la violence et l’unité coercitive des conduites ; la Terreur, en d’autres termes.

On sent que Mme de Staël – elle‑même rédactrice d’un projet de Déclaration des droits44 – est gênée par la forme et le contenu des Droits de l’homme dès 1789. La forme parce que le droit naturel présent au point de départ est retravaillé par les lois des Assemblées : c’est le fameux légicentrisme français. Le contenu parce que l’abstraction du citoyen, qui ne doit montrer aucun trait de particularité (sexe, profession, région, langue, religion), le rend en même temps « purifié » des sentiments humains. Le citoyen obéit à la loi de l’État, puisqu’elle est « l’expression de la volonté générale » (article 6 de la Déclaration de 1789). La citoyenneté dans toute sa force juridique est disjointe de l’individualité de l’homme – probablement parce que, de cette façon, l’égalité paraît mieux garantie.

Mme de Staël ne développe pas son analyse en ces termes, peut‑être forçons‑nous sa pensée ?

Retenons tout de même qu’elle oppose la pitié, 

cette révélation naturelle … qui, partout, établit sur la terre les secours mutuels, la société de l’homme avec l’homme45

et « la nature factice que le fanatisme seul peut donner46 ». Il faut bien entendre que ce fanatisme a utilisé les droits de l’homme à son profit, les droits réinterprétés par la Convention montagnarde. Mme de Staël semble proche de l’idée que la citoyenneté égalisatrice ainsi fondée est un être trop abstrait, et donc trop « factice » pour faire résistance à l’impulsion des fanatiques. Comme elle l’écrit encore dans les Circonstances :

Il est … une sorte de perfectibilité qui ne peut jamais être légale ni politique. Ainsi quand il serait à désirer que tous les hommes fussent enthousiastes de la liberté, dévoués à leur patrie, le pays le plus tyrannisé de la terre serait celui où de telles vertus seraient exigés47.

Il s’agit bien de la citoyenneté vertueuse et des droits et des devoirs de 1793.

En outre, l’autre point capital est la critique de la formule utilisée depuis 1792 « Le salut du peuple est la loi suprême ». Mme de Staël réplique par une interrogation caractéristique :

… à travers les fanatiques, les ambitieux, les effrayés tenant tous le même langage, s’attachant tous à ce même principe que le salut du peuple est la première loi, par quels moyens peut‑on établir en France de la morale48 ?

Question incongrue ? N’y a‑t‑il pas un moment de lutte à mort pour la souveraineté française menacée de l’extérieur ? Pourtant, Robespierre n’a cessé de dire que le Gouvernement de salut public est celui de la vertu démocratique, qu’il est issu des principes mêmes de la démocratie, et des « principes de morale politique qui doivent guider la Convention » (titre du discours du 5 février 1794, 17 pluviôse an II). C’est tout le sens que l’on peut induire du nouveau culte à la fin, envers l’Être suprême, et des devoirs de l’homme vis‑à‑vis de l’Être suprême énoncés par Robespierre dans son projet de décret voté par la Convention49. Mme de Staël reviendra longuement sur l’axiome cité (venu du salus populi des Romains), notamment dans De l’Allemagne, où elle réplique : « La suprême loi, c’est la justice50 ».

Il n’est donc pas abusif de supposer qu’elle cherchait comment modifier, c’est‑à‑dire humaniser, la figure du citoyen ; ce qui renouait avec ses remarques, dans les Circonstances, sur l’opposition entre la sévérité antique, où le citoyen est la chose du pouvoir collectif, et la liberté moderne, où l’individu veut se retrouver en tant que tel au sein du collectif. Un passage subtil dans De l’Allemagne critique le mélange opéré dans l’idéologie révolutionnaire entre la vision antique (participation à la souveraineté) et la conception chrétienne (soumission au pouvoir). « Le mélange du système de l’inertie et de celui de l’action produit une double immoralité, tandis que, pris séparément, l’un et l’autre avaient droit au respect » (même chapitre, p. 310). La pitié, la reconnaissance de la différence des situations, le sens de la commune humanité créent un lien de fraternité différent : voilà ce que Mme de Staël ressent devant les « erreurs » de la Révolution. Il reviendra à Benjamin Constant de s’approprier pleinement l’idée, tout en introduisant une complexité supplémentaire ; non, dit‑il en substance, nous ne pouvons renoncer à la liberté des Anciens ! Nous devons la « combiner » (selon son expression) avec celle des Modernes, de façon à ce que, par les institutions, les gouvernements « achèvent l’éducation morale des citoyens51». Longtemps, par hostilité à Constant, on a voulu fermer les yeux sur la fin de cette conférence à l’Athénée qui, à travers les deux libertés (de participer, de jouir de l’indépendance privée) propose d’élever « le plus grand nombre possible de citoyens à la plus haute dignité morale52 ». C’est une civilité neuve et d’esprit idéaliste qui est envisagée là.

Constant était en cela le continuateur de son inspiratrice, décédée deux ans auparavant. Reconnaissons‑le, nous avons encore beaucoup à faire pour rendre la société adéquate à un tel projet. Nous aussi nous cherchons de nouveaux visages de la citoyenneté ; ils se montrent peut‑être dans diverses formes de discussion et de mobilisation en dehors de l’enceinte des partis politiques et du parlement. Ils signifient probablement de nouvelles ressources pour la légitimité de l’expression politique, mais aussi de nouveaux risques, avec, notamment, la prolifération des identités, et des communautés cherchant la visibilité. D’autres fanatismes apparaissent aussi qui ne sont pas la simple réplique de celui que Germaine de Staël considérait dans l’usage violent et dévoyé du civisme révolutionnaire. Mais sa pensée reste la source jamais tarie ; l’enthousiasme staëlien, au sens philosophique, continuera à nous guider.

1 Lucien Jaume, Tocqueville : les sources aristocratiques de la liberté, Paris, Fayard, 2008.

2 Dans Qu’est‑ce que l’esprit européen ? (Paris, Champs Flammarion, 2010), j’ai présenté Antigone et Locke, ainsi qu’Érasme, comme les phares de l’

3 Expressions de Constant dans la conférence de l’Athénée De la liberté des Anciens comparée à celle des modernes, et qui proviennent directement des

4 J’ai consacré un doctorat d’État (1987) et deux ouvrages au jacobinisme (1989 et 1990). Je viens de reprendre la question dans le livre Le Religieux

5 Il faut signaler l’importance d’Henri Grange qui m’a encouragé sur Necker et dont le livre Les Idées de Necker reste une somme indispensable (Paris

6 Je laisse de côté le catholicisme libéral, troisième courant de la période 1814‑1870.

7 Voir l’historien Rudolf von Thadden, La Centralisation contestée, Arles, Actes Sud, 1989.

8 Henri Grange, « Necker, Mme de Staël et la Constitution de l’an III », Approches des Lumières. Mélanges offerts à Jean Fabre,Paris, Klincksieck, s.d

9 Voir Lucien Jaume,« La fonction de juger dans le Groupe de Coppet et chez Alain », Alain dans ses œuvres et son journalisme politique, Institut

10 De l’Allemagne, éd. comtesse de Pange, Paris, Hachette, 1958, 5 vol. Ici tome 1, p. 25.

11 Voir ma contribution, « Le libéralisme comme culture morale », Coppet, creuset de l’esprit libéral, sous dir. L. Jaume, Paris, Economica et Presses

12 Germaine de Staël, De l’Esprit des traductions, OCS‑1/2, dir. S. Genand, Paris, Champion, 2013, page 597.

13 Au chap. 12, troisième partie de De l’Allemagne. Auguste de Staël développe une longue critique de Bentham également dans ses Lettres sur l’

14 Germaine de Staël, De l’Influence des passions sur le bonheur des individus et des nations, OCS‑I/1, dir. F. Lotterie, Paris, Champion, 2008

15 Ibid., p. 227.

16 Ibid.

17 Ibid., p. 226‑227.

18 Ibid., p. 180.

19 Ibid., p. 179.

20 Pour Tocqueville, dans la démocratie des personnes égales, le public est le nouveau dieu qui « exerce une pression immense de l’intelligence de

21 « Il n’existe plus que deux partis dans la République, celui des bons et des mauvais citoyens ; c’est‑à‑dire celui du peuple français et celui des

22 Voir B. Munteano, Les Idées politiques de Madame de Staël et la Constitution de l’an III, Paris, Les Belles Lettres, 1931 (Études françaises, 25e 

23 Germaine de Staël, Réflexions sur la paix adressées à M. Pitt et aux Français (volume cité à la note précédente, p. 83‑119).

24 De l’Influence des passions, p. 151.

25 De l’Allemagne, préface, p. 12.

26 Citation par Norman King, Cahiers staëliens, n° 11, 1970, p. 7, note 10.

27 Citation par Norman King, ibid, p. 7. Nous ne développerons pas ici la source de cette thèse : la philosophie de Kant, la République comme idéal de

28 De l’Influence des passions, p. 151.

29 Voir B. Constant, « De l’obéissance à la loi », Œuvres complètes, t. X‑1, sous dir. K. Kloocke, Berlin et New York, Walter de Gruyter, 2010, p. 355

30 De l’Influence des passions, p. 152.

31 Ibid., p. 293.

32 Comme Locke avait écrit que l’homme est « un être capable de lois », formule de source théologique (l’homme « capable de Dieu », de saint Irénée à

33 Des circonstances actuelles, p. 307.

34 Mme de Staël définit l’enthousiasme comme l’attrait exercé par le beau moral ; chez Kant il s’agit d’une vision du droit pure de tout lien d’

35 Germaine de Staël, Considérations sur la Révolution française, éd. J. Godechot, Paris, Tallandier, 1983, p. 343 (troisième partie, chap. 27).

36 De l’Influence des passions, p. 228.

37 Voir Lucien Jaume, Le Religieux et le politique dans la Révolution française. L’idée de régénération, op. cit.

38 Des circonstances actuelles, p. 451.

39 Article 27 de la Déclaration montagnarde du 23 juin 1793, reproduite dans L. Jaume, « Fonder la démocratie par la Révolution ? La France de 1789‑

40 Une excellente notice est donnée par le Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Les Éditions du Cerf, 1970, p. 992‑993.

41 Des circonstances actuelles, p. 465.

42 Ibid.

43 Cf. la page du Discours sur l’origine de l’inégalité, première partie : « Il est donc bien certain que la pitié est un sentiment naturel qui

44 Germaine de Staël, « Idées sur une déclaration de droits », OCS‑III/1, p. 637‑644.

45 Des Circonstances actuelles., p. 466.

46 Ibid.

47 Ibid., p. 443.

48 Ibid., p. 466.

49 Œuvres de Robespierre, t. X, Discours (5e partie), Paris, PUF, 1967, p. 462‑465, décret faisant suite au discours du 18 floréal an II, « Sur les

50 De l’Allemagne, 3ème partie, chap. 13, « De la morale fondée sur l’intérêt national », t. 4, p. 298.

51 B. Constant, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », id., De la liberté chez les Modernes, éd. M. Gauchet, Paris, LGF, 1980, p

52 On consultera notamment les travaux de Giovanni Paoletti qui, depuis longtemps, s’attache à combattre l’interprétation tenace d’un Constant faisant

1 Lucien Jaume, Tocqueville : les sources aristocratiques de la liberté, Paris, Fayard, 2008.

2 Dans Qu’est‑ce que l’esprit européen ? (Paris, Champs Flammarion, 2010), j’ai présenté Antigone et Locke, ainsi qu’Érasme, comme les phares de l’esprit européen.

3 Expressions de Constant dans la conférence de l’Athénée De la liberté des Anciens comparée à celle des modernes, et qui proviennent directement des réflexions présentes dans le texte écrit en commun avec Mme de Staël, Des circonstances qui peuvent terminer la Révolution : voir plus bas.

4 J’ai consacré un doctorat d’État (1987) et deux ouvrages au jacobinisme (1989 et 1990). Je viens de reprendre la question dans le livre Le Religieux et le politique dans la Révolution française, Paris, PUF, 2015.

5 Il faut signaler l’importance d’Henri Grange qui m’a encouragé sur Necker et dont le livre Les Idées de Necker reste une somme indispensable (Paris, Klincksieck, 1974).

6 Je laisse de côté le catholicisme libéral, troisième courant de la période 1814‑1870.

7 Voir l’historien Rudolf von Thadden, La Centralisation contestée, Arles, Actes Sud, 1989.

8 Henri Grange, « Necker, Mme de Staël et la Constitution de l’an III », Approches des Lumières. Mélanges offerts à Jean Fabre, Paris, Klincksieck, s.d. [1975], p. 225‑239.

9 Voir Lucien Jaume, « La fonction de juger dans le Groupe de Coppet et chez Alain », Alain dans ses œuvres et son journalisme politique, Institut Alain, Paris « La Menuiserie », 2004, p. 205‑214. Une excellente présentation de cette lignée de pensée dans J. Perrier, Alain ou la démocratie de l’individu (spécialement chap. 4, « Les vertus citoyennes »), à paraître chez Les Belles Lettres.

10 De l’Allemagne, éd. comtesse de Pange, Paris, Hachette, 1958, 5 vol. Ici tome 1, p. 25.

11 Voir ma contribution, « Le libéralisme comme culture morale », Coppet, creuset de l’esprit libéral, sous dir. L. Jaume, Paris, Economica et Presses Universitaires d’Aix‑Marseille, 2000.

12 Germaine de Staël, De l’Esprit des traductions, OCS‑1/2, dir. S. Genand, Paris, Champion, 2013, page 597.

13 Au chap. 12, troisième partie de De l’Allemagne. Auguste de Staël développe une longue critique de Bentham également dans ses Lettres sur l’Angleterre, Benjamin Constant défend à plusieurs reprises le droit naturel contre le critère utilitariste. Un livre indispensable sur ces questions : G. E. Gwynne, Madame de Staël et la Révolution française. Politique, philosophie, littérature, Paris, Nizet, 1969. Pour les discussions passionnées que Staël a suscitées en ce domaine, lors de son séjour en Angleterre, où elle publie De l’Allemagne interdit par Napoléon, voir le riche article de Norman King : « The airy form of things forgotten : Madame de Staël, l’utilitarisme et l’impulsion libérale », Cahiers staëliens, n° 11, 1970, p. 5‑26.

14 Germaine de Staël, De l’Influence des passions sur le bonheur des individus et des nations, OCS‑I/1, dir. F. Lotterie, Paris, Champion, 2008, Première section chapitre VII.

15 Ibid., p. 227.

16 Ibid.

17 Ibid., p. 226‑227.

18 Ibid., p. 180.

19 Ibid., p. 179.

20 Pour Tocqueville, dans la démocratie des personnes égales, le public est le nouveau dieu qui « exerce une pression immense de l’intelligence de tous sur l’esprit de chacun ». Pour lui, l’égalité est le facteur décisif de la faiblesse individuelle : « Cette même égalité qui le rend indépendant de chacun de ses concitoyens en particulier, le livre isolé et sans défense à l’action du plus grand nombre » (De la démocratie en Amérique, vol. 2, Œuvres, t. II, sous dir. A. Jardin, Paris, Gallimard, 1992, p. 521).

21 « Il n’existe plus que deux partis dans la République, celui des bons et des mauvais citoyens ; c’est‑à‑dire celui du peuple français et celui des hommes ambitieux et cupides », Lettres à ses commettants, n° 1, 19 octobre 1792, Gap, Imprimerie Louis‑Jean, 1961, p. 18 (Œuvres complètes de Robespierre, t. V).

22 Voir B. Munteano, Les Idées politiques de Madame de Staël et la Constitution de l’an III, Paris, Les Belles Lettres, 1931 (Études françaises, 25e cahier), ainsi que le texte posthume de Staël, Réflexions sur la paix intérieure, dans OCS‑III/1, dir. L. Omacini, Paris, Champion, 2009, p. 133‑182, avec notre introduction p. 123‑132.

23 Germaine de Staël, Réflexions sur la paix adressées à M. Pitt et aux Français (volume cité à la note précédente, p. 83‑119).

24 De l’Influence des passions, p. 151.

25 De l’Allemagne, préface, p. 12.

26 Citation par Norman King, Cahiers staëliens, n° 11, 1970, p. 7, note 10.

27 Citation par Norman King, ibid, p. 7. Nous ne développerons pas ici la source de cette thèse : la philosophie de Kant, la République comme idéal de la raison.

28 De l’Influence des passions, p. 151.

29 Voir B. Constant, « De l’obéissance à la loi », Œuvres complètes, t. X‑1, sous dir. K. Kloocke, Berlin et New York, Walter de Gruyter, 2010, p. 355‑358 et 598‑609 (avec notre commentaire). Pour Constant, c’est le droit naturel qui est la pierre de touche du jugement sur les lois.

30 De l’Influence des passions, p. 152.

31 Ibid., p. 293.

32 Comme Locke avait écrit que l’homme est « un être capable de lois », formule de source théologique (l’homme « capable de Dieu », de saint Irénée à Pascal).

33 Des circonstances actuelles, p. 307.

34 Mme de Staël définit l’enthousiasme comme l’attrait exercé par le beau moral ; chez Kant il s’agit d’une vision du droit pure de tout lien d’intérêt personnel.

35 Germaine de Staël, Considérations sur la Révolution française, éd. J. Godechot, Paris, Tallandier, 1983, p. 343 (troisième partie, chap. 27).

36 De l’Influence des passions, p. 228.

37 Voir Lucien Jaume, Le Religieux et le politique dans la Révolution française. L’idée de régénération, op. cit.

38 Des circonstances actuelles, p. 451.

39 Article 27 de la Déclaration montagnarde du 23 juin 1793, reproduite dans L. Jaume, « Fonder la démocratie par la Révolution ? La France de 1789‑1795 », Démocratie et révolution. Cent manifestes de 1789 à nos jours, dir. Stéphane Courtois, Jean‑Pierre Deschodt et Yolène Dilas‑Rocherieux, La Roche‑sur‑Yon, Institut catholique d’Études Supérieures, Paris, Éditions du Cerf, 2012, p. 36.

40 Une excellente notice est donnée par le Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Les Éditions du Cerf, 1970, p. 992‑993.

41 Des circonstances actuelles, p. 465.

42 Ibid.

43 Cf. la page du Discours sur l’origine de l’inégalité, première partie : « Il est donc bien certain que la pitié est un sentiment naturel qui, modérant dans chaque individu l’activité de l’amour de soi‑même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce » (J.‑J. Rousseau, « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes », Œuvres complètes, Paris, La Pléiade, Gallimard, 1964, t. III, p. 156).

44 Germaine de Staël, « Idées sur une déclaration de droits », OCS‑III/1, p. 637‑644.

45 Des Circonstances actuelles., p. 466.

46 Ibid.

47 Ibid., p. 443.

48 Ibid., p. 466.

49 Œuvres de Robespierre, t. X, Discours (5e partie), Paris, PUF, 1967, p. 462‑465, décret faisant suite au discours du 18 floréal an II, « Sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains, et sur les fêtes nationales ».

50 De l’Allemagne, 3ème partie, chap. 13, « De la morale fondée sur l’intérêt national », t. 4, p. 298.

51 B. Constant, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », id., De la liberté chez les Modernes, éd. M. Gauchet, Paris, LGF, 1980, p. 514.

52 On consultera notamment les travaux de Giovanni Paoletti qui, depuis longtemps, s’attache à combattre l’interprétation tenace d’un Constant faisant l’éloge exclusif des « jouissances privées » et de la dépolitisation ; voir notamment : son introduction à la conférence de Constant traduite en italien, La liberta degli antichi, paragonata a quella dei moderni, Turin, Einaudi, 2001, p. V‑XLIX, et son ouvrage capital, Benjamin Constant et les Anciens. Politique, religion, histoire, Paris, Champion, 2006.

Lucien Jaume

Institut d’études politiques de Paris.

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