L’admiration que Jules Barbey d’Aurevilly et Léon Bloy vouèrent à Germaine de Staël tient probablement au fait qu’ils voyaient tous deux en elle une femme d’opposition. Une femme de conviction reléguée, éloignée, considérée comme une menace pour l’ordre public français, à un moment où l’implication des écrivains dans la vie politique était fortement limitée et où par contraste, elle paraissait d’autant plus engagée. Contre leur temps, c’est-à-dire contre la période libérale du Second Empire, épouvantés par les progrès de la science – voire son invasion dans tous les domaines de la pensée, que n’accompagnait selon eux aucun progrès moral –, ils perçurent Dix années d’exil comme un reflet vivifiant de leur isolement public et de leur exil intérieur.
Il est néanmoins étonnant, eu égard aux professions de foi cosmopolites et libérales de Germaine de Staël, que deux écrivains héritiers de la pensée contre-révolutionnaire, catholiques dogmatiques et profondément misogynes, mal à leur aise dans le « monde du devenir d’Hegel et [du] Ça ira des Sans-Culottes », et dans « l’immense et imbécile farandole du Suffrage universel1 », pussent entretenir une telle vénération pour cette femme qui ne ressemblait guère à l’éternel féminin qu’ils contribuèrent à façonner – pensons à leurs héroïnes positives et exemplaires, et non aux femmes décrites dans les Diaboliques de Barbey –, celui de la femme fragile et vulnérable, dont la pâleur transparente rappelle celle des grands lys, « l’emblème des âmes pures, que les Vierges portent dans le ciel, comme le calice d’albâtre de leur sacrifice2 ».
La première partie de cette étude s’attache à montrer comment et pourquoi G. de Staël échappe à la critique que Barbey effectue des bas-bleus dans son recueil éponyme paru en 1877 ; sa perception de Staël reste constituée de lieux communs propres à son époque, mais conduit néanmoins à un idéal type dont la finalité est de définir une poétique. La deuxième partie sera consacrée à l’influence que Staël a exercée, notamment à travers sa conception de l’enthousiasme, sur la poétique de Barbey d’Aurevilly et de Bloy.
Germaine de Staël dans Les Bas-Bleus : histoire d’un lieu commun
Stéphanie Tribouillard parle d’un véritable « déchaînement contre-révolutionnaire3 » contre G. de Staël après sa mort. Ses Considérations sur la Révolution française incarnaient, pour des personnalités telles que Louis de Bonald ou Joseph de Maistre, une menace qu’il fallut combattre à base de pavés qui ne présentaient pour « argument » que leur dogme réaffirmé. En effet, la conception organiciste que les contre-révolutionnaires se faisaient de l’Ancien Régime, leur attachement radical au dogme catholique qui justifiait la monarchie absolue et son fonctionnement depuis les premières dynasties capétiennes se heurtaient aux pensées libérales et constitutionnelles de Staël. Louis de Bonald, dans ses Observations sur l’ouvrage de Madame la baronne de Staël4, incrimine – entre autres – la protestante en elle qui, comme tous les Réformés, sanctifierait l’esprit d’examen « au point de rejeter le principe d’autorité », inévitable si l’on veut lier les principes religieux aux considérations politiques. Selon lui, Germaine de Staël poursuivrait davantage la religion que la politique dans sa vision libérale des institutions françaises. Cela n’est nullement la conviction de Barbey d’Aurevilly ou de Bloy. Il n’est pas question ici d’entrer dans des considérations strictement politiques mais plutôt de voir en quoi des écrivains héritiers de la pensée contre-révolutionnaire comme eux se démarquent de cette position « ultra ». Ce qui est sûr, c’est que la manière dont Germaine de Staël vivait et exprimait son rapport à la religion et à Dieu exaltait Barbey et Bloy et galvanisait la part romantique de leur être que venaient mettre à mal le matérialisme et l’utilitarisme des temps modernes.
Le recueil de Jules Barbey d’Aurevilly qui se présente sous le titre Les Bas-Bleus réunit un ensemble de textes composés entre 1858 et les années 1870, mais c’est une préoccupation précoce que ces bas-bleus, ces femmes qui écrivent et qui, ce faisant, selon Barbey, se prennent pour des hommes et pervertissent ainsi leur « vraie nature ». Comment se fait-il que Germaine de Staël, qui figure en tout début du recueil, échappe à cette curée, elle qui pourtant aurait, selon l’auteur, ouvert les vannes des revendications égalitaristes auxquelles répugnent les contre-révolutionnaires ? Elle, « la mère Gigogne de tous les Bas-bleus de la génération présente » de la même manière que George Sand aurait été la « mère Gigogne aux adultères » ? Dans Les Bas-bleus, l’écrivain « analyse en sociologue l’inversion des pôles masculin et féminin dans le monde post-révolutionnaire5 » et voit dans la vilaine tendance qu’ont prise les femmes à non seulement écrire des livres mais à se comporter en hommes, c’est-à-dire à « demander sa part dans la publicité et dans la gloire6 », une perversion, une masculinisation grotesque du féminin. Autrement dit, il s’agit pour Barbey d’Aurevilly, en attaquant les transformations du rôle social de la femme de l’après Révolution française, de « préciser sa conception de la féminité7 ».
La femme, selon Barbey, aurait une fonction sociale, que son existence biologique détermine, et qu’elle commence à négliger après la Révolution. Le bas-bleuisme serait le résultat de cette négligence, tolérée par les hommes, applaudie même par certains d’entre eux, qui croient en féministes que la femme peut prétendre à tout ce à quoi ils prétendent eux-mêmes. Or, que la femme soit distincte de l’homme est justement constitutif de sa valeur pour Barbey d’Aurevilly. Il soutient qu’un bas-bleu est avant tout une femme qui a pris le ton, l’allure, et les manières des hommes. Dénaturé par les nouvelles fonctions qu’elle s’arroge, croyant être son égale parce que prétendant à l’audace et à l’insolence exclusivement masculines, le bas-bleu signale la décadence de la civilisation occidentale, conduite par le culte de la raison et l’hybris, les deux fossoyeurs de la religion chrétienne en Europe. Barbey dépeint cette décadence occidentale avec inquiétude, pourrissant d’un manque de sensibilité originelle. Heureusement, certaines femmes échappent à cet écueil, et écrivent tout en restant femmes. C’est le cas de Germaine de Staël, sauvée par sa sensibilité, sa bonté d’âme, et son christianisme, qu’elle ne désavoue pas malgré la place de servante sacrifiée que cette religion octroie au genre.
Le discours agonistique ou polémique se construit à travers un univers de valeurs qui a pour but d’avaliser, de soutenir, et d’accroître les stéréotypes que le polémiste tente de faire passer pour irréfutables. Ainsi, parce que la France est « le pays de Légèreté et de la Grâce8 » – autrement dit le pays où la Femme détient une place sacrée donc immuable –, la femme française ne peut changer de nature ni de comportement sous peine d’enrayer l’ensemble du système. Seules les femmes qui restent femmes, c’est-à-dire qui se conforment à une définition traditionnelle et chrétienne de la féminité, ont encore droit aux ménagements respectueux dus au genre. Barbey ne croit donc pas à
l’égalité spirituelle de l’homme et de la femme, telle que le bas-bleuisme la suppose et la pose. [...] Les femmes peuvent être et ont été des poètes, des écrivains et des artistes, dans toutes les civilisations, mais elles ont été des poètes femmes, des écrivains femmes, des artistes femmes. Étudiez leurs œuvres, ouvrez-les au hasard ! À la dixième ligne, et sans savoir de qui elles sont, vous êtes prévenu ; vous sentiez la femme ! Odor di femina9.
En quoi consiste cette « odeur de femme » pour Barbey ? Premièrement, une femme digne de ce nom ne peut pas se montrer cruelle : Staël, justement, « qui pouvait dialoguer avec Rivarol, n’a peut-être pas eu, dit-il, dans toute sa vie la cruauté d’un épigramme à se reprocher ». Elle incarne la bonté d’âme, la générosité, la bienveillance maternelle, car dans son œuvre, Barbey aime à le répéter, « l’âme se mêle à tout10 ». À partir de là, elle peut, comme écrivaine, être
le génie le plus femme qui ait jamais peut-être existé. C’est un génie éminemment sensible et expressif. Je crois que je pourrais écrire : le génie même de l’Expression. Quant aux facultés de domination absolue, de certitude et de sécurité qui distinguent l’homme de génie, elle n’en a pas une seule11...
Parce que le tempérament de ses héroïnes, qui sont un peu elle, et la manière dont elle se peint dans ses essais sont conformes au cliché de la féminité passionnée, vulnérable et faible (d’une faiblesse de femme), elle peut, dès lors, avoir « la force irrésistible de l’émotion et de l’expression, sans laquelle il n’y a point de grands artistes » ainsi que « le mouvement des idées »,
l’aperçu ingénieux et profond qui tient à cette finesse dont on peut dire : Ton nom est femme ! autant qu’on peut le dire à la fragilité ! Elle a la distinction qui touche à l’originalité comme la grâce touche à la force, un style plein de couleur et de mélodie, et le mot, plus rare que le style, qui le diamante et le couronne, le mot qu’elle recherche et qu’elle aime, la parure de sa phrase de femme, aux mêmes contours qu’elle, mais qui n’a ni les attaches, ni les articulations, ni les manières de marcher, animalement puissantes, de la phrase des hommes de génie12.
Ainsi, peignant la femme à travers sa sensibilité, ses nerfs, sa délicatesse, Barbey charrie tous les clichés de son temps sur une littérature proprement féminine, qui détiendrait toutes les caractéristiques positives de la femme chrétienne et charitable. Barbey ôte au génie et au talent qu’il attribue à Staël tout ce qui pourrait être un produit de la volonté, du travail et de la réflexion intellectuelle. Il conserve tout ce qui est de l’ordre du « naturel », de la grâce ingénue, du charme hypnotique. Et c’est George Sand, contre-modèle de l’idéal féminin pour Barbey, qui fait les frais de cet éloge : Sand, elle, n’a
ni la distinction patricienne de celle qui écrivit Delphine, ni le sentiment virginalement poétique qui créa Lucile Edgermond, ni la grâce, la grâce aérienne qui est partout dans Mme de Staël et qui, dans le génie des femmes, est encore le meilleur caractère du génie13 !
Enfin, G. de Staël peint des héroïnes à son image, qui ne « titanisent pas », des femmes « divines de faiblesse », « qui sentent le besoin d’appui, et ne se révoltent point contre la supériorité de l’homme qu’elles aiment, au nom de la leur qu’elles aiment davantage14 ». On perçoit ici l’ambiguïté du discours qui attribue aux femmes une supériorité qu’elles ne peuvent acquérir si et seulement si elles acceptent celle de l’homme. Barbey, est-ce nécessaire de le mentionner, n’a pas le monopole de la misogynie et de l’incapacité à envisager la femme indépendamment de son rapport au mâle. À la même époque, Edmond de Goncourt dans son Journal n’hésitait pas à claironner que « de Mlle de Scudéry à Mme Sand en passant par Mme de Staël, les femmes ont le génie du faux15 ». Rappelons aussi que, bien avant Barbey, en 1840, Frédéric Soulié introduit son ouvrage Physiologie du bas-bleu comme suit :
Molière les appelait des femmes savantes ; nous les avons nommées Bas-Bleus. J’aime ce nom, qui ne signifie absolument rien, par cela seul qu’il dénonce cette espèce féminine par un mot de genre masculin. Tant que la femme reste blanchisseuse, actrice, couturière, danseuse, cantatrice, reine, on peut écrire grammaticalement parlant : elle est jolie, elle est fine, elle est adroite, elle est bien tournée, elle a une grâce ravissante, elle est d’une beauté parfaite. Mais, du moment qu’une femme est Bas-Bleu, il faut absolument dire d’elle : il est malpropre, il est malfaisant, il est une peste. Cependant le Bas-Bleu est femme ; il l’est même plus qu’une autre. Et comme il joint à cela un esprit professoral, il est d’ordinaire très empressé d’en donner les preuves, à qui les lui demande – les preuves de la féminité. Quelques philosophes prétendent qu’on peut aussi considérer cette démonstration comme une preuve d’esprit. À ce compte, il n’y aurait plus de femmes bêtes16.
Nous sommes donc, face à cet éloge de Staël par Barbey d’Aurevilly en ouverture de ses Bas-Bleus, en présence d’un lieu commun largement partagé, à savoir que les femmes sont « ces créatures de sensibilité bien plus que de pensée17 ». En réalité, cet éloge est davantage une réponse à la réputation de virago de G. de Staël, véhiculée d’abord par Stendhal, qui la qualifia d’« hommasse » ainsi qu’au portrait qu’en fit un autre polémiste catholique du XIXe siècle, Louis Veuillot, qui écrivit :
Mme de Staël est un dragon : je doute de son sexe. Cette grosse femme avec son turban, je suis tenté de la prendre pour le Grand Turc et de lui en reconnaître les privilèges. Dans sa maison, je ne vois qu’une femme, c’est Benjamin Constant ; dans ses livres, je ne vois qu’un homme, c’est Corinne. Ne me citez pas Mme de Staël parmi les femmes hardies ; je la classe parmi les hommes imprudents18.
Le discours polémique est certes un discours argumentatif qui cherche à convaincre ses interlocuteurs. Mais c’est aussi, voire surtout, une scène qui cherche à mettre en valeur une posture. Ici, le duel met en scène les profanateurs de la féminité de Mme de Staël (dixit Barbey), Stendhal et Veuillot, contre le défenseur de la féminité sublimement incarnée par Staël, leur adversaire Barbey d’Aurevilly qui commenta le fameux portrait au turban par le peintre François Gérard en transformant le « Grand Turc » de Veuillot en « Éthiopienne […] brûlée par le double soleil de la passion et du génie19 ! ». Enfin, si Barbey ne conteste jamais la pensée libérale de Staël, il préfère s’en prendre au favori de cette « reine », comme il l’appelle : Benjamin Constant, décrit comme étant sorti « de dessous sa jupe20 ». Il lui impute avec consternation la responsabilité d’avoir mis
cette étincelante étiquette d’homme d’esprit sur le goulot de ce long Suisse efflanqué, qui ressemblait à la bouteille dans laquelle la cigogne enferme le dîner pour attraper le renard21.
Benjamin Constant est, aux yeux de Barbey, l’œuvre de Germaine de Staël. Mais il n’impute pas à la fille de Necker la responsabilité des fourvoiements politiques de ce dernier : « Nous avons vu qu’elle n’était pas un homme ; mais elle l’était encore plus que lui ! Elle prit cette substance mollasse et souple, la pétrit et la timbra de ses idées anglaises22 ».
« L’étude des caractères, l’imagination, l’expression des nuances dans le cadre du roman, voilà le domaine d’une femme qui se pique d’écrire23 » au XIXe siècle : c’est la conviction que défend Louis de Bonald dans son livre de réaction aux Considérations sur la Révolution française. Barbey n’est pas loin de le penser ; mais s’il ne le pense pas tout à fait, c’est parce que la singularité de son dithyrambe envers G. de Staël consacre la part féminine de son écriture. « L’expression », « l’accent » sont des termes qui reviennent régulièrement dans son œuvre critique et si Staël a su le toucher et incarner pour lui « une écrivaine d’un prodigieux talent24 », c’est parce qu’elle a su féminiser son style et par là, sa pensée, conformément à une esthétique du sublime qu’elle exprimerait parfaitement dans son œuvre.
Du lieu commun à la poétique
Jules Barbey d’Aurevilly et Léon Bloy appartiennent certes à la même famille de pensée contre-révolutionnaire, mais ils tiennent à ce que la postérité se souvienne d’eux comme de poètes, de magiciens de la langue. L’échec politique de la contre-révolution, rappelle Gérard Gengembre dans La Contre-révolution ou l’histoire désespérante, a trouvé refuge dans la littérature. Le rapport de Barbey et de Bloy à l’œuvre de Germaine de Staël témoigne de leur manière d’appréhender le monde : poétiquement, bien plus que politiquement ou idéologiquement. Dans un article sur les idées politiques de Benjamin Constant, Barbey le compare à Staël en expliquant pourquoi elle est une femme de génie et pas lui :
[…] madame de Staël avait l’imagination d’une femme de génie, et l’imagination est une faculté essentiellement affirmative, tandis que Benjamin Constant n’avait que de la raison, faculté négative, chercheuse et douteuse, quand elle ne s’appuie pas à plus fort qu’elle. C’est là ce qui explique la supériorité de madame de Staël dans l’expression de ses idées, mêmes politiques. Elle vaut mieux que ce qu’elle écrit, parce qu’elle y met son âme et son style ; Benjamin Constant, lui n’a à mettre ni style, ni âme, à ce qu’il écrit : il reste avec la fausseté ou la superficialité seule de sa pensée. Voilà pourquoi on lit encore et on lira toujours madame de Staël, fût-ce dans son pauvre livre sur la Révolution française. Le feu du style, qui est le feu du ciel et qui ne s’éteint jamais, y court sur les idées médiocres ou fausses, et on ne voit plus que cette noble flamme ! Mais, dans Benjamin Constant, rien sur l’idée qu’une phrase aussi mince que l’idée. Aussi, lorsque l’idée n’existe pas ou n’existe plus, l’esprit rejette avec mépris ce tas de phrases, sans vie comme elle25 !
La poétique de Staël ne peut être distinguée de l’énonciation moraliste qui charme Barbey et Bloy. L’accent de sa langue, l’expression qu’adopte son esprit, en somme, son style, n’est pas un « ornement secondaire » de sa pensée, surtout chez un témoin de l’histoire : elle en constitue un « des attributs consubstantiels26 ». La poétique de Germaine de Staël est appréciée à la mesure des éléments qui la fondent et la constituent : éléments ayant trait – entre autres choses – d’une part, à l’attachement au mystère et à la croyance ; d’autre part, à l’expression de passions morales paradoxales, comme la souffrance et ses conséquences sur l’âme humaine. Voyons en quoi ces deux éléments participent également de la poétique de ces deux auteurs.
La croyance
Barbey d’Aurevilly affirme dans les Prophètes du passé que la « Faculté de croyance […] est le premier attribut des grands penseurs27 ». Dans cet essai où il consacre une monographie à Joseph de Maistre, un de ses maîtres à penser dont il partage les convictions éthiques et théologico-politiques, la faculté de croyance – en Dieu, en une transcendance surnaturelle, en un mystère intangible que l’homme doit renoncer à vouloir percer – distingue les modernes des antimodernes. Comme de Maistre, il dénonce la négation de Dieu au nom du matérialisme et du scientisme :
La plus dangereuse illusion de l’orgueil consiste à croire que la connaissance peut atteindre le cœur de certains phénomènes quand il faudrait sentir en eux l’inexplicable présence du surnaturel28.
Il consacre ainsi Staël, qui élève également le mystère et la croyance au rang de valeurs morales dans De l’Allemagne :
Les belles époques de l’espèce humaine dans tous les temps ont été celles où des vérités d’un certain ordre n’étaient jamais contestées ni par des écrits ni par des discours. Les passions pouvaient entraîner à des actes coupables, mais nul ne révoquait en doute la religion même à laquelle il n’obéissait pas. Les sophismes de tout genre, abus d’une certaines philosophie, ont détruit, dans divers pays et différents siècles, cette noble fermeté de croyance, source du dévouement héroïque29.
Revenons sur cette formule « les sophismes de tout genre, abus d’une certaine philosophie » : elle renvoie à l’esprit matérialiste qui voudrait par de cohérents raisonnements discréditer la faculté de croyance pour la mettre au rang de mœurs obscurantistes qui empêcheraient l’humanité de s’élever. Barbey la rejoint – avec des objectifs argumentatifs différents – dans l’épilogue de ses Prophètes du passé où il soutient que la sécularisation progressive de la société fait perdre à la nation ce qu’elle avait, sans ériger à la place quoi que ce soit d’autre. Le vide laissé par la disparition de la foi et du dogme fait perdre à l’homme ses repères moraux et provoque en lui un nihilisme suicidaire :
Ah ! nous n’en sommes plus au temps de Julien l’Apostat ! […] Julien, tout apostat qu’il fût, avait un génie élevé et religieux. C’était une religion et non une philosophie qu’il voulut opposer à la religion chrétienne. C’était un surnaturel absurde, mais enfin c’était un surnaturel, qu’il dressait, de toute sa hauteur, contre le surnaturel du Christianisme naissant, qui venait de démontrer, avec l’éclat d’une lumière divine, l’inanité des croyances païennes, dépassées par la croissance de la raison des hommes. Les apostats modernes ne combattent pas, comme l’ancien Apostat, pour un Dieu tombé, pour des autels à relever, pour une tradition sacrée, pour une histoire ; ils combattent CONTRE le surnaturel religieux, quel qu’il soit, et POUR rien30 !
Ainsi, les poétiques de Germaine de Staël, de Barbey et de Bloy se rejoignent par cet aspect : leurs écrits doivent contribuer à croire et à faire croire au XIXe siècle car la faculté de croyance – qui est du ressort du « sentiment », sentiment qui fait éprouver à l’homme en lui-même ces « vérités primitives31 » dont parle Germaine de Staël dans De l’Allemagne (IV, VI) – est nécessaire à l’élévation de l’esprit humain, et se présente comme une sorte d’idéal régulateur permettant d’aspirer à des objectifs moraux fondés sur une métaphysique commune plutôt que sur les intérêts de chacun. Contre le matérialisme « qui fonde toutes nos idées sur nos sensations32 », Staël soutient, comme ses admirateurs après elle, qu’un regard sur le monde ne peut se passer de l’intériorité, des méandres insondables et mystérieux de « l’existence intérieure33 » de celui ou de celle qui le pose. S’appuyant sur ses déclarations relatives à la croyance et aux vérités incontestées et incontestables, Barbey et Bloy enrégimentent Staël malgré elle dans la grande famille rassemblée par un même idéal chrétien et chevaleresque que les révolutionnaires sensualistes, matérialistes et individualistes foulèrent aux pieds dès 1789. Sa sensibilité chrétienne leur permet de l’associer « aux chaleurs de la religion et de l’hérédité nobiliaire34 » qui connaît un nouvel élan en France à partir de 1851.
L’expression de la douleur
Le deuxième élément constitutif de la poétique de G. de Staël est son expression des passions humaines, et notamment de la souffrance ou de la douleur. Barbey d’Aurevilly et Léon Bloy confèrent une place de choix dans leurs œuvres à la douleur, et s’insurgent, à l’instar de Staël, contre tous ceux qui tournent en dérision la manifestation de la douleur. Ils consacrent comme un de leurs maîtres un auteur méconnu qui écrivit en 1848 un ouvrage peu connu mais qui illustre parfaitement leur conception anti-moderne35 de la souffrance. Il s’agit de De la douleur, d’Antoine Blanc de Saint-Bonnet. L’ouvrage est une réflexion philosophique, ontologique et chrétienne sur les causes, les effets et la portée morale de la douleur – physique et morale – dans la vie de l’homme. La souffrance constitue, pour Saint-Bonnet, un signe du mystère et du surnaturel divin, qui ordonne tout. Il tente de résoudre dans son ouvrage le paradoxe de la souffrance physique, non motivée moralement, et qui échoit pourtant à chaque homme. Il reprend, de manière prévisible pour un homme de foi catholique, le fondement biblique de la souffrance causé par la désobéissance liminaire d’Ève, en affirmant que « Sans le mal, la douleur ne serait jamais entrée dans le temps36 ». Saint-Bonnet envisage la douleur comme un système de compensation morale. Étant donné que tout homme a tendance à « se remplir de lui-même37 » – hybris illustré par la hardiesse déplacée d’Ève –, la douleur vient rappeler à l’homme qu’il est une créature à qui le bien n’est pas dû. Elle se présente pour le révéler à lui-même, en lui imposant ce qui le constitue le plus : l’expérience de la perte. En cela, ses idées sont conformes à la théorie du catholique Joseph de Maistre, connue sous l’expression de la « réversibilité des mérites » :
En mettant l’homme de bien aux prises avec l’infortune, Dieu le purifie de ses fautes passées, et le mûrit pour le Ciel. [...]
Et quand on songe de plus que ses souffrances ne sont pas seulement utiles pour le juste, mais qu’elles peuvent, par une sainte acception, tourner au profit des coupables, et qu’en souffrant ainsi il sacrifie réellement pour tous les hommes, on conviendra qu’il est en effet impossible d’imaginer un spectacle plus digne de la divinité38.
L’apologie de la douleur et du corps souffrant qu’effectuent Barbey d’Aurevilly et Bloy dans leurs œuvres, sanctifiant leurs héroïnes immolées, est un affront volontaire au régime positiviste et matérialiste qui gagne du terrain à partir des années 1850 en Europe. Les tenants de la douleur affirment à travers le dogme de la réversibilité de la souffrance la prééminence de l’irrationnel dans la vie spirituelle et physique, au moment où le rationnel et la notion de l’utile triomphent et évacuent le surnaturel des croyances et des usages. La douleur devient le symbole ultime d’un sort non maîtrisé et de l’exigence de soumission à une puissance transcendante contre la recherche du confort au présent. La douleur est envisagée dans son versant positif, comme outil de perfectionnement moral qui place l’homme face à ses limites et le contraint à agir dans le temps39. Unique auteure citée de tout l’ouvrage de Blanc de Saint-Bonnet, Germaine de Staël acquiert à travers son apologie de la douleur un statut extra-ordinaire qui marque de son sceau la pensée romantique :
Comme le remarque Mme de Staël, la douleur est donc un bien, ainsi que l’ont dit les mystiques40.
L’association de Staël aux mystiques est permise par sa volonté, à travers les belles lettres, de « rapprocher l’homme de l’homme, et tous de l’Être suprême41 ». La douleur bouleverse irréversiblement l’homme et accroît la place de l’âme dans son être : « L’homme a des endroits de son cœur qui ne sont pas et où la douleur entre pour qu’ils soient42 ! » martèle Saint-Bonnet pour expliquer la fécondité morale de la douleur. Il prête allégeance à la posture romantique face à l’expérience de la douleur, flagrante lorsqu’il affirme que « la douleur sanctifie43 », reprenant l’idée selon laquelle l’homme n’est sublime que parce qu’il se bat contre une force démesurée, mystérieuse, surnaturelle. C’est le spectacle de cette disproportion qui confère le sentiment du sublime à celui qui l’observe :
Le Sublime consiste dans la liberté aux prises avec la destinée, ou avec les passions. Dieu est infini, l’homme seul est sublime : car l’homme seul peut s’élever au-dessus de lui-même ! On n’est sublime que devant la douleur, ou devant la mort44...
La souffrance s’éprouve dans la liberté qu’exerce l’homme pour contrer l’irrecevabilité de sa destinée, et dans l’acte de résistance qu’il lui oppose, et parce qu’il en ignore l’issue, il s’expose à l’Infini. Comment ne pas penser aux paragraphes de Staël sur Kant où elle affirme que ce philosophe « fait consister le sublime dans la liberté morale, aux prises avec le destin ou avec la nature » ou encore « Le premier effet sublime est d’accabler l’homme ; le second, de le relever45 ». Il semble évident que Barbey d’Aurevilly, qui définit le talent comme « un tas de coups reçus dans le cœur46 », et Léon Bloy, qui fulmine contre le cynisme de ses contemporains à propos du rapport entre douleur et création, admirent en Staël cette propension à sublimer la souffrance dans l’acte créateur :
Quant à la littérature ou plutôt à l’Art, vous verrez si c’est une chose facile quand on n’a pas souffert et qu’on ne veut pas souffrir. On ne change pas la nature des choses et on ne décrète pas que les poètes heureux seront sublimes. La Douleur est l’essence même du beau en poésie47 […].
Léon Bloy (1846-1917) doit à Germaine de Staël l’orientation de sa poétique sur l’enthousiasme. Elle fut la figure tutélaire qui permit la défense d’une conception romantique de l’écriture au moment où la jeunesse française dut faire face aux critiques de Zola se méfiant de « la culbute dans le bleu », autrement dit d’un certain idéalisme qu’il accusa d’être la raison de l’échec de la guerre de 1870.
Éloge de l’enthousiasme conçu comme « la divinité en soi »
Dans un article paru récemment dans la Revue d’Histoire Littéraire de la France, Gérard Gengembre synthétise la dimension romantique de l’œuvre de Germaine de Staël, qu’il associe à sa conception de l’enthousiasme et de la portée politique que celui-ci charrie à travers l’entreprise littéraire. Chez Staël comme chez Kant, l’enthousiasme, « principe vital, amour du beau moral […], s’impose comme une exigence : l’individu se doit à lui-même comme à la divinité d’affronter la vie48 ». Il devient « énergie d’engagement49 ». Dans l’œuvre fictionnelle de Staël, « l’enthousiasme se trouve associé aux passions morales, qui sont paradoxales : elles absorbent l’âme de l’individu sensible, le font souffrir, mais en même temps l’élèvent. On reconnaît là une des tensions inscrites au cœur de Corinne : la grandeur et la misère de l’être sensible50 ». Que l’enthousiasme soit un acte qui engage moralement l’être à se confronter au vertige de la divinité est une idée partagée par Barbey d’Aurevilly mais surtout par son disciple et héritier Léon Bloy, qui en fait l’idée force de son manifeste poétique en rendant hommage à Staël dans la préface de son premier recueil de textes publié en 1884, intitulée « De l’enthousiasme en art. Sonate romantique pour servir de préface aux Propos d’un entrepreneur de démolitions ». Cette préface paraît pour la première fois dans Le Foyer du 22 février 1879. De pair avec Staël, Bloy éprouvait qu’« il n’y a que deux classes d’hommes distinctes sur la terre, celle qui sent l’enthousiasme et celle qui le méprise51 » :
Madame de Staël a parlé de l’enthousiasme avec l’éloquence éperdue des soixante-dix-sept passions brûlantes qu’elle portait en elle. Elle en a parlé comme les saintes parlaient de l’amour divin qui les consumait. Salamandre de ses propres sentiments, elle a offert l’étonnant exemple de la plus violente existence de femme dans le centre même d’une flambée de splendeurs morales qui purifient sa mémoire et nous la font paraître, aujourd’hui, presque innocente. […] Ayant à parler de l’enthousiasme, j’ai d’abord nommé cette femme. Aucun autre nom de ce siècle ne pouvait, en pareil cas, précéder celui-là dans ma pensée. Mme de Staël fut la grande passionnée, la grande Sybille de l’enthousiasme, et c’est pour cela qu’il fallait la mentionner au début d’une préface écrite uniquement en vue de constater avec désespoir l’absence radicale, essentielle, de l’enthousiasme en ce temps-ci.
[…] Après elle, en effet, je n’en vois guère dans le monde. [...] Il s’est vu des poètes, cependant, et même des très grands. Mais il ne s’est pas vu d’enthousiastes, sinon par intermittences et par saccades.
L’enthousiasme est un Dieu dans le cœur, et quand le cœur en est rempli, il est irrésistiblement porté en haut de la vie et en haut du monde, infiniment au-dessus de tout ce qu’il aime, de tout ce qu’il voit et de tout ce qu’il juge, dans l’empyrée de son propre rêve intérieurement réalisé. C’est le mouvement sublime par lequel les mouvements enveloppés et sommeillant dans l’âme humaine éclatent soudainement dans la vie morale et retentissent dans tous les actes extérieurs de la vie physique. [...] L’enthousiasme, enfin, est une rage de vie supérieure et un divin mécontentement des conditions inflexibles de la vie normale. Aimer n’est rien, le plus plat bourgeois en est capable, mais aimer avec enthousiasme, un héros seul peut le faire et c’est encore ce qu’on a pu trouver de plus beau sur cette sphère raboteuse où, depuis six mille ans, pâture le genre humain52 !
Staël figure le modèle que Bloy veut imiter et qui l’a inspiré. Reprenant l’étymologie grecque du terme « enthousiasme53 », il le rattache au sentiment religieux et à la fureur divine qui se transforme en inspiration ; constatant sa lente agonie dans la seconde moitié du XIXe siècle, il désigne et maudit les coupables, tout en appelant la jeune génération à un examen de conscience vis-à-vis de sa manière d’appréhender le monde. Contre l’absence de spiritualité qui désenchante le monde contemporain, contre ce qu’il appelle « le silence de l’âme », il prône l’enthousiasme et la souffrance – les deux vont de pair, de manière très christique – comme voies d’accès à la réflexion métaphysique et à la beauté poétique qui la transcrit. De la même manière que Staël, il pose l’exigence du « noble enthousiasme » et ce faisant, ne vise pas seulement à définir une préférence poétique, mais à mettre en cause la responsabilité morale de l’écrivain. L’enthousiasme participe de l’effort moral et éthique que l’écrivain doit accomplir pour gagner ses galons. Barbey d’Aurevilly et Bloy, sans chercher à fonder de groupe et n’espérant aucun ralliement de quelque école que ce soit, ont néanmoins participé à ce que l’on pourrait appeler la réaction spiritualiste au naturalisme, associé par eux au matérialisme français en philosophie. Émile Zola prévient des dangers de l’illusion lyrique telle que la conçoit Bloy dans sa préface des Propos d’un entrepreneur de démolitions. Dans Le Voltaire du 17 au 21 mai 1879, il destine une « lettre à la jeunesse », dans laquelle il qualifie le lyrisme de « folie » ne pouvant faire naître que des fous héroïques desquels il appelle la nation à se libérer :
Voilà ce que je vais tâcher de démontrer à la jeunesse. Je voudrais lui souffler la haine de la phrase et la méfiance de la culbute dans le bleu. Nous autres qui ne croyons qu’aux faits, qui reprenons tous les problèmes, à l’étude des documents nous sommes accusés d’ordure, nous nous entendons chaque jour traiter de corrupteurs. Il est temps de prouver à la génération nouvelle que les véritables corrupteurs sont les rhétoriciens, et qu’il y a une chute fatale dans la boue après chaque élan dans l’idéal. […] Et je m’adresse, maintenant, à la jeunesse française, je la conjure de réfléchir, avant de s’engager dans la voie de l’idéalisme ou dans la voie du naturalisme ; car la grandeur de la nation, le salut de la patrie dépendent aujourd’hui de son choix54.
Dans un ensemble de conférences effectuées au Danemark dont l’objectif était de dénoncer les impasses morales du naturalisme – que Bloy associe à ce qu’il appelle la gangrène du matérialisme et de l’utilitarisme du monde moderne – intitulées Les Funérailles du naturalisme (1891), il déclare :
[…] quand je me suis opposé au matérialisme contemporain, je n’étais, après tout, qu’une sentinelle.
C’était pour sauver le feu sacré de l’âme humaine que je combattais nuit et jour55 […].
Barbey et Bloy partagent avec Germaine de Staël la conviction que l’enthousiasme n’est pas seulement la faculté d’exalter la vie mais un devoir sacré qui rend l’homme moral et vertueux. Il participe de l’impératif catégorique en même temps qu’il est « fondateur, créateur, flamme vitale, [qu’il] informe, modèle et anime les hommes dont il assure la marche vers l’avenir56 ». L’enthousiasme devient religieux dès qu’il relie les hommes entre eux dans un élan commun vers l’idéal. Ils partageaient la conviction de Lamartine qui témoigna de la dimension religieuse de l’œuvre de Germaine de Staël – donc d’une certaine manière « apologétique » – dans son Cours familier de littérature : « elle faisait de la pensée exprimée par la littérature non plus un métier, mais une religion57 ». Lamartine y souligne la dimension hautement morale de la littérature que Germaine de Staël fait valoir dans son œuvre :
Penser fortement, sentir sincèrement, agir dignement, parler éloquemment, agir au besoin héroïquement étaient à ses yeux une même condition littéraire. La religion, la liberté, l’amour, la vertu faisaient partie essentielle du génie. La littérature ainsi comprise, au lieu d’être un jeu de l’esprit, devenait une sublime morale révélée par le talent ; c’était le culte du beau inséparable du bien et confondant la vérité et la gloire ; en un mot, la littérature de la conscience au lieu de la littérature de l’imagination58.
En dépit de leurs renommées de pamphlétaires – dont Bloy tenta de se départir dans la seconde partie de sa vie d’écrivain – et de leur propension à l’imprécation, Barbey et Bloy constataient dans la seconde moitié du XIXe siècle une survivance en l’homme du sentiment religieux contre les prescriptions modernes. D’un point de vue strictement politique et idéologique, ils misèrent sur ce sentiment pour créer des solidarités distinctes de celles qu’envisageait Stäel en son temps. En revanche, d’un point de vue moral, ce sentiment leur a, entre autres, été inspiré par les déclarations de Staël sur la mission de l’écrivain. Pour remédier à « l’inétouffable, l’inextinguible sentiment religieux59 » qui survit en l’homme, leur démarche littéraire peut se lire comme une volonté de réintroduire une dimension sacrée dans un monde qui évacue de plus en plus les pratiques et les mœurs religieuses. Staël se montre suffisamment sensible, passionnée et victime de son enthousiasme dans son œuvre pour être rangée parmi ceux qui n’ont pas cédé aux sirènes glaciales du « tout rationnel » de son époque. En défendant une conception spiritualiste de la littérature française – mais contre la littérature sulpicienne et édifiante qu’ils fustigent l’un et l’autre dans leurs œuvres –, ils se posent en disciples de Staël et envisagent la littérature comme tenant d’une mission sacrée, un encouragement à spiritualiser le monde contemporain qui périt de trop de raison, d’utilitarisme et d’individualisme. Les mêmes procédés sont à l’œuvre chez ces deux fervents disciples de la fille de Necker : l’éloge de la fécondité artistique permise par les passions, qu’ils alternent avec une mise à distance de ces mêmes passions en vue de leur détournement vertueux et de leur sublimation.