Finir Delphine

Catriona Seth

p. 137-152

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Catriona Seth, « Finir Delphine », Cahiers Staëliens, 67 | 2017, 137-152.

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Catriona Seth, « Finir Delphine », Cahiers Staëliens [En ligne], 67 | 2017, mis en ligne le 15 avril 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://cahiersstaeliens.edinum.org/166

Pour Sophie Lefay

Germaine de Staël, dans une concession à la critique qui peut être rapprochée de la seconde édition préparée pour De la littérature ou encore de la rédaction des Quelques réflexions sur le but moral de « Delphine », laisse dans ses papiers un « dénouement entièrement nouveau » pour son premier roman. Elle le présente dans l’« Avertissement de l’auteur pour une nouvelle édition de Delphine1 » dont la date de composition est inconnue, mais qui paraît à titre posthume en 1820. La romancière ne renonce pas pour autant à l’ancien dénouement puisqu’elle le réinvestit dans une anecdote disparue intitulée Charles et Pauline2. Elle considère en effet que la fin initialement donnée à son livre de 1802 a pour avantage de « retracer avec quelque force les circonstances déchirantes qui accompagnent la mort de ceux qu’on fait périr pour des opinions politiques3 ». Si Auguste de Staël publie pour la première fois le deuxième dénouement, les éditeurs modernes suivent tous le choix initial de la romancière, systématiquement considéré comme plus convaincant, en donnant le roman avec sa fin initiale. Je voudrais revenir sur cette version et en particulier sur l’un de ses aspects : la phrase ultime.

La rupture de ton dans la partie intitulée « Conclusion4 » rappelle ce qui se passe dans les dernières pages de La Religieuse de Diderot. Comme l’espèce de lettre‑mémoires de Suzanne Simonin destinée au marquis de Croismare le cède à une brève narration à la troisième personne, par un narrateur omniscient, l’échange épistolaire de Delphine finit sur la lettre XX de la sixième partie, adressée, sans date (mais vers le 9 septembre 1792), par l’héroïne à sa belle‑sœur Mademoiselle d’Albémar. L’épistolière y loue Serbellane comme « le meilleur, le plus compatissant » des hommes et promet à Louise : « vous n’entendrez plus parler que de mon bonheur : sur la terre ou dans le Ciel, vous me saurez heureuse5 ». Le récit des derniers jours des héros est ensuite pris en charge par un narrateur non identifié qui se fonde sur des détails transmis par « M. de Serbellane et quelques autres amis de Mme d’Albémar ».

Au dernier moment, une sorte de revirement générique final permet un retour à une voix identifiée inscrite à nouveau dans le mode de la correspondance : « Voici l’un des fragments de la lettre qu’il [M. de Serbellane] écrivait en revenant de ce voyage pieux envers l’amitié6 ». Si le début du passage qui suit est un discours rapporté, marqué par un « disait‑il », la suite du récit est livrée sans incise. Le locuteur raconte une expérience dans laquelle il paraît avoir été proche des morts, comme dans des poèmes du temps, Le Revenant de Parny (ou Néère de Chénier, encore inédit à l’époque), ou dans le souvenir de l’âme de Patrocle caressant Achille endormi dans l’Iliade XXIII. Serbellane indique alors avoir gravé sur un arbre voisin :

Ce vers, la seule consolation des infortunés que la mort a privés des objets de leur affection :
On ne me répond pas, mais peut‑être on m’entend7.

Le lecteur a déjà croisé une autre inscription funéraire, chargée en l’occurrence d’une volonté mémorielle. Delphine l’évoque le 2 décembre 1791, dans une lettre (la lettre XXXIV de la quatrième partie) à Élise de Lebensei, à propos de sa prise de congé post‑mortem de Sophie de Vernon :

Je cherchai quelques minutes à travers les feuilles mortes qui étaient sur la terre, les sentiers du jardin qui pouvaient me conduire où je croyais que les restes de Mme de Vernon étaient déposés ; je trouvai l’urne enfin qui désignait sa tombe, je vis sur cette urne deux vers italiens qu’elle m’avait souvent fait chanter, parce qu’elle en aimait l’air.
E tu, chi sa se mai
Ti sovverrai di me8.

Le distique est implicitement un rappel au souvenir des vivants et a un effet immédiat sur l’héroïne qui identifie l’air chéri de la mère de Matilde – nouvelle démonstration de la valeur affective de la musique et de son rôle dans la constitution d’une mémoire involontaire qu’après Rousseau, Germaine de Staël met en évidence à plusieurs reprises dans ses textes.

Le vers écrit par Serbellane sur un arbre voisin ne peut être compris comme un reproche (la valeur accordée par Delphine elle‑même au texte italien qui orne l’urne funéraire de Mme de Vernon9). C’est au contraire, comme il l’indique lui‑même, une forme de consolation. Sophie Lefay y voit une possible « épitaphe substitutive10 ». L’ami des deux défunts – Léonce repose auprès de sa bien‑aimée – semble se l’adresser à lui‑même, en tout premier lieu, mais aussi tendre la phrase à tous ceux que la mort de Delphine et Léonce peut avoir affligés en laissant croire que le silence n’est pas l’absence.

Grâce aux travaux de Lucia Omacini, nous pouvons revenir sur les étapes de rédaction de cette fin et voir l’amont, plutôt que l’aval représenté par le « second dénouement ». Deux brouillons de la sixième et dernière partie de Delphine ont survécu. Voici ce que livre le premier, les italiques marquant les modifications :

Heureuse la femme qui meurt avant 25 ans sur le sein de celui qu’elle aime et qui repose en paix sur le bord de la rivière à l’ombre des peupliers ! J’ai été presqu’au péril de ma vie, faire une course en France pendant la guerre pour rendre un dernier hommage à la mémoire de mes amis ! D’où vient, qu’en me reposant près de leur tombe, j’éprouvois un sentiment assez doux ? Peut‑être un avertissement secret me disoit‑il qu’ils étoient heureux, et que je ne devois point me livrer à des regrets amers sur leur destinée ? Peut‑être s’aimoient‑ils encor, et cherchoient‑ils à me faire sentir que je ne devois point les plaindre ! Je passai la nuit entière au clair de la lune à rêver au sort des hommes ; cette nuit a été la plus délicieuse de ma vie, et néanmoins le sentiment de la mort l’a remplie toute entière ; mais je le crois, mes amis du haut du ciel dirigeoient mes méditations et écartoient de moi toutes ces terreurs d’imagination qui nous font horreur du terme de la vie ; une fois, dans mon exaltation, je les ai Microsoft Office User2020-03-25T11:11:00MOUappellés tous les deux et je leur ai demandé, si je ne ferois pas mieux d’unir à l’instant mes cendres aux leurs, et s’il n’étoit pas vrai que les âmes fières et sensibles n’avoient rien à attendre que des douleurs sur des douleurs ; il m’a semblé qu’une voix portée par le vent me disoit : – Supporte la peine, attends la nature et fais du bien aux hommes ; – j’ai baissé la tête et je me suis résigné ; avant de quitter ces lieux, j’ai écrit, sur le marbre qui couvre la tombe de mes amis, ce vers d’un poète françois : « On ne me répond pas, mais peut‑être on m’entend ». L’idée qu’il exprime me console et me soutient, car j’ai perdu jeune encor tous les amis de ma jeunesse et je n’en reformerai pas, car je n’ai plus ce qui fait naître ces affections profondes de la vie : la confiance et l’espoir11.

On observe une allusion à l’âge idéal pour une femme dans l’esprit de Staël (25 ans) qui se retrouve ailleurs dans ses écrits, ainsi qu’à la tentation du suicide, si souvent présente dans ses œuvres. On relève aussi que le vers est tracé sur le marbre, de manière assez conventionnelle – sur « la tombe » dans le second brouillon12 – alors que dans la version définitive, reflet peut‑être d’une sensibilité au‑delà de la simple convention funéraire, le froid minéral le cède au végétal vivant, la permanence de l’incision lapidaire à une inscription moins durable dans laquelle l’arbre semble être pris à témoin, mais aussi libre de croître à l’avenir.

Au cours des années, les différents éditeurs ont échoué à identifier la source première de ce vers. Elle n’est pourtant pas sans importance. Il s’agit en effet, avec une légère variante, d’un extrait du Discours sur l’espérance de se survivre de Jean‑François Marmontel. L’académicien, proche ami des Necker, l’a lu à l’Académie en 1779. Ses amis suisses en avaient connaissance. Le roman clôt ainsi sur un vers d’Ancien Régime que « Minette » a vraisemblablement dû entendre lire ou déclamer dans le salon familial par l’auteur, un familier de la maison.

Après avoir indiqué que Marc‑Aurèle entendrait l’avenir le bénir à jamais – une allusion semble‑t‑il à l’académicien Thomas, lui‑même grand ami des Necker, et présent à la lecture –, Marmontel écrit :

Ah ! laissons aux méchants cette crainte accablante.
Laissons cette espérance utile et consolante
À l’ami qui, pleurant l’ami qu’il a perdu,
Se flatte au moins encor qu’il en est entendu !
Et pour qui ce besoin n’est‑il pas invincible,
De penser que des morts tout n’est pas insensible ?
Est‑ce une froide cendre, un marbre inanimé
Que je presse, en pleurant sur un objet aimé ?
Et si rien n’est ému dans cette urne glacée,
Pourquoi si tendrement la tiendrais‑je embrassée ?
Je ne sens point un cœur sous le mien palpitant ;
On ne me répond point ; mais peut‑être on m’entend.
Il me semble, aux accents de ma bouche plaintive,
Qu’une ombre qui m’échappe est au moins attentive ;
Qu’invisible et présente, elle voit mes douleurs,
Recueille mes soupirs, et jouit de mes pleurs13.

Le rappel d’Homère est présent par l’allusion à l’ombre qui échappe. Le topos du défunt qui entend encore est présent ailleurs dans l’œuvre de Marmontel, notamment dans Pénélope, une tragédie lyrique avec musique de Piccinni jouée devant le roi et la reine à Fontainebleau en 1785. L’héroïne éponyme, à la scène 8 de l’acte I, affirme ainsi : « Ou mon époux respire, ou son ombre m’entend14 ». Elle imagine ensuite Ulysse mort l’attendant pour lui reprocher d’avoir accepté un projet d’union avec un tiers.

L’Esprit des journaux en 1779 et l’Almanach des Muses en 1780 reprennent le poème de Marmontel. Le vers du Discours sur l’espérance de se survivre repris par Staël a visiblement suscité un écho auprès des contemporains. Il est en effet cité à plusieurs reprises et dans des contextes très divers. Prenons quelques exemples qui montrent que, comme Staël qui paraît citer de mémoire, les lecteurs se sont approprié le texte.

Commençons par l’oncle de Benjamin Constant, Louis‑David de Constant de Rebecque, dit Constant d’Hermenches (1722‑1785), le correspondant de la jeune Belle van Zuylen, future Isabelle de Charrière. Isabelle Vissière lui consacre un article intitulé « Le libertin marié15 ». Elle trouve dans ses papiers des traces qui paraissent indiquer que son second mariage, en 1776, avec Marie Taisne de Remonval, a été heureux. L’épouse meurt deux ans après ses noces. Ce décès prématuré « déclenche en lui [Constant] une tempête qu’il traduit en vers élégiaques ». Vissière alors de citer le passage suivant en laissant entendre qu’il est du veuf endeuillé :

Je ne sens plus un cœur sous le mien palpitant.
On ne me répond point ; mais peut‑être on m’entend !
Il me semble aux accents de ma bouche plaintive
Qu’une ombre qui m’échappe est encore attentive,
Qu’invisible et présente, elle voit mes douleurs,
Recueille mes soupirs et jouit de mes pleurs.16

Le lecteur aura reconnu une citation du Discours sur l’espérance de se survivre et non un texte original de Constant, lequel l’insère, sans guillemets ou attribution quelconque, au sein d’une sienne déploration confiée au papier. Comment mieux témoigner du fait qu’il y a vu une traduction de ses propres sentiments ?

Un autre exemple d’une source manuscrite, mais qui va ici au‑delà de l’auto‑destination des notes du veuf éploré, figure dans une lettre du comte de Mirabeau (1749‑1791), le futur révolutionnaire, datée de Londres le 18 mars 1785. Il écrit à son ami Samuel Romilly (1757‑1818), un Anglais qui descendait de familles huguenotes. Le futur révolutionnaire s’y dit « écrasé d’ouvrage inattendu » et incapable d’engager une discussion épistolaire longue par manque de temps : il sent comme son ami mais ne pense pas comme lui et « il est impossible à [s]a raison de donner son assentiment à la seule émotion ». Le Français d’ajouter : « On ne me répond pas, mais peut‑être on m’entend ; ces mots touchants, proférés sur l’urne cinéraire d’un ami, m’ont toujours paru ce qu’on pouvait dire de plus éloquent en faveur de l’immortalité de l’âme17 ». Le sens ne pouvait manquer de toucher Germaine de Staël et constitue l’une des explications du choix de son personnage Serbellane qui grave ce vers‑là sur l’arbre voisin de la sépulture de ses amis.

Dans un contexte tout autre, Bertrand Barère (1755‑1841) reprend à son tour un très court extrait du poème de Marmontel, comprenant les vers qui nous intéressent en leur donnant une valeur analogue à celle soulignée par Mirabeau. Marie‑Thérèse Bouyssy a retrouvé dans les Archives départementales des Hautes‑Pyrénées un manuscrit intitulé Lettres d’un voyageur dans le parc de Betz : essai ou Promenades pittoresques dans le parc et le jardin de Betz. Il est formé de 12 lettres, datées du 25 août au 3 septembre 1788. Préfigurant les réflexions de Delphine auprès de l’urne contenant les cendres de Sophie de Vernon, Barère évoque les jouissances amères des souvenirs qui reviennent lorsqu’on est près d’un tombeau et ajoute :

combien de fois j’ai répété auprès de ces monuments ces beaux vers inspirés par la sensibilité la plus vive :
Je ne sens point un cœur sous ma main palpitant.
On ne me répond pas, mais peut‑être on m’entend
18.

Marie‑Thérèse Bouyssy de relever la naïveté avec laquelle Barère souligne cette citation : « Je ne sais comment Marmontel a trouvé ce dernier vers qui me paraît attendrissant et sublime. » Le commentaire laisse transparaître une sensibilité partagée avec des contemporains d’âges et de situations sociales diverses.

La formule a touché une corde sensible chez les contemporains de Marmontel et sera d’ailleurs citée dans l’éloge du polygraphe, décédé en 1799, lu par son neveu Morellet à l’Institut le 31 juillet 1805 et publié dans la foulée. L’idée d’une vie après la mort, couchée en des termes comme ceux du Discours sur l’espérance de se survivre, ne contredit pas les préceptes de la religion et offre un soulagement à toute personne touchée par la disparition d’un proche. Elle devait avoir une résonance particulière dans une France endeuillée par les années révolutionnaires.

Si Germaine de Staël, qui a beaucoup fréquenté Marmontel dans sa jeunesse et a recours entre autres à des exemples tirés de certains de ses articles dans De la littérature19, avait toutes les raisons de connaître et d’apprécier le discours en vers dont est tirée la phrase qui nous retient, deux sources imprimées ultérieures ont peut‑être contribué à son choix d’en faire la clausule de Delphine.

Nous savons que Germaine de Staël a lu Adèle de Senange, un roman d’Adélaïde de Flahaut, future comtesse de Souza. Revenons rapidement sur cette romancière. Fille d’un secrétaire du roi dont la femme était fort amie de Marmontel, Adélaïde Filleul, épouse depuis 1779 du comte de Flahaut, a parmi ses intimes des proches des Necker et des Staël, comme Talleyrand ou Gouverneur Morris. On dit son fils Charles‑Joseph, comte de Flahaut, fils de l’évêque d’Autun. Pendant la Révolution, comme Narbonne, Alexandre d’Arblay ou Talleyrand, elle a séjourné à Juniper Hall, propriété sise à Mickleham dans le Surrey, au Sud de l’Angleterre, où Germaine de Staël vint les retrouver. Staël, qui disputa un temps à la ci‑devant comtesse de Flahaut l’affection de Talleyrand, mit sa générosité à la disposition de sa rivale20 en proposant, au mois d’août 1793, de l’aider à gagner la Suisse, et louait sa prose.

Or, dans Adèle de Senange, publié pour la première fois en 1794 et qui valut une célébrité véritable à Adélaïde de Flahaut, un vers proche est gravé, à la requête de sa veuve, sur l’obélisque qui surmonte la tombe de Monsieur de Senange, l’époux plus âgé qui présente quelques analogies avec le personnage du défunt M. d’Albémar dans Delphine : « Il ne me répond pas, mais peut‑être il m’entend21 ». La protagoniste, jeune femme prise entre un époux et un amant, doit certains de ses traits à sa créatrice et aurait, selon certains, inspiré en partie le personnage de Mme d’Arbigny, la maîtresse artificieuse d’Oswald dans Corinne. La formulation de l’inscription lapidaire romanesque s’éloigne de la version impersonnelle de Marmontel et renvoie à la relation entre les époux Senange, mais la source paraît indisputable.

Le vers, cité avec précision ou non, joue un rôle complexe et, dans les différents cas que nous avons relevés, il a de toute évidence suscité l’intérêt ou l’émotion des lecteurs. Revenons au roman de Germaine de Staël. Delphine, plusieurs commentateurs l’ont souligné, est marqué par le deuil de la mère de la romancière, comme Corinne, par celui de son père. Madelyn Gutwirth, dans ses écrits pionniers22, mentionne ce que Sophie de Vernon, par inversion, et Matilde doivent à Suzanne Necker. De son côté, Catherine Dubeau écrit :

Le souvenir de Madame Necker, décédée le 15 mai 1794, hante les pages du roman épistolaire : actions, obstacles, divers personnages féminins, citations tirées des écrits maternels, autant de lieux où se lovent, de manière plus ou moins explicite, les réminiscences de la mère perdue. Celles‑ci encadrent littéralement la matière romanesque à travers une épigraphe […] et une clausule […] tirées des Mélanges de Madame Necker23.

Ouvert sur un propos de Suzanne Necker reformulé – l’épigraphe qui a tant fait couler d’encre –, le roman termine en effet sur un passage présent dans les Mélanges extraits des manuscrits de Mme Necker et édités à titre posthume par son veuf éploré. On y lit : « Quelqu’un avait gravé sur une urne funéraire : L’on ne me répond pas, mais peut‑être on m’entend24 ». Il s’agit de la forme retenue par Staël. Il est impossible de savoir si les notes de sa mère renvoyaient à Marmontel en ayant oublié la source. Il s’agit cependant vraisemblablement d’un souvenir du Discours en vers : la phrase citée est un parfait alexandrin.

Germaine de Staël fait‑elle allusion à une phrase de sa mère ou de l’ami défunt ? La forme de la négation (« pas » au lieu de « point ») pourrait laisser croire que Suzanne Necker est l’intermédiaire unique. Ajoutons une minuscule mise en garde. Le lecteur a pu relever que Staël utilise la forme « On », présente chez Marmontel et non « L’on » qui figure dans le texte de sa mère. De plus, dans les brouillons, Mylord Gaston (futur M. de Serbellane) fait écrire sur le marbre qui couvre la tombe de Delphine et Léonce le même texte, mais il le désigne alors, selon les versions, comme « un vers » ou comme « une ligne […] d’un poète français25 ». Cela laisse entendre que Germaine de Staël connaît vraisemblablement la source (un poème du défunt ami, Marmontel) ou voit en tout cas un auteur au‑delà de la citation allusive des notes maternelles. Cela n’exclut nullement l’interprétation selon laquelle la relation avec sa mère a également été l’un des motifs du choix de cet extrait. Un indice difficile à élucider est livré par un jet antérieur de la phrase dans le premier brouillon relevé par Lucia Omacini qui évoque « une ligne consolatrice d’un poète françois que depuis 15 ans… ». S’il faut remonter 15 ans à compter de l’événement théorique – les héros meurent vers la fin de 1792 et le pèlerinage de Serbellane sur leur tombe aurait lieu un peu plus tard – nous nous approchons du moment où le poème de Marmontel a dû être composé puis lu soit publiquement à l’Académie, soit dans le cercle privé des Necker. Rien ne permet de certifier qu’il s’agit là de ce à quoi pensait Staël en traçant ces mots supprimés, mais l’hypothèse est tentante et inviterait à croire qu’elle connaît bien la source au‑delà de la citation maternelle.

Si, comme le laisse entendre Catherine Dubeau, Suzanne Necker est présente par plusieurs allusions (entre autres celle à la rose de Saadi), une scène cruciale réunit encore la mère et la fille par texte interposé. Matilde, on s’en souvient, essaie de convertir sa mère mourante. Dans les faits, c’est Suzanne Necker qui, bien qu’agonisante, mène le jeu et condamne le mode de vie de sa fille. Ce souvenir vient se greffer sur une scène narrée dans une lettre de Staël au roi Gustave III de Suède en décembre 1787 : la duchesse de Luxembourg, très dévote, se serait dite « bien aise » d’apprendre à son père, le marquis d’Argenson, la gravité de son état, afin de le pousser à recevoir les derniers sacrements26. L’anecdote figure également comme un échange entre « Madame de *** » et son père dans les Nouveaux mélanges extraits des manuscrits de Mme Necker27. La question des échanges entre parent et enfant, autour de la religion et de la conduite morale à adopter, est ainsi au centre des préoccupations de l’une et de l’autre depuis des années. La référence à la mère et au dialogue sur un lit de mort sont essentiels. La citation finale invite à poursuivre cette conversation même post mortem.

Le 22 mars 1794, Germaine de Staël écrit à Louis de Narbonne. Elle est au désespoir. Sa mère a failli mourir dans la nuit « d’un étouffement horrible ». Dans une scène que, malgré la différence des situations, Béatrice Jasinski rapproche des avertissements de Mme de Chartres à la princesse de Clèves28, Suzanne Necker convoque son enfant unique et l’accuse d’être responsable de son état : « Ma fille, je meurs de la douleur que m’a causée votre coupable et public attachement ». Elle évoque le départ de Narbonne comme punition méritée pour la femme adultère29 avant d’ajouter : « Ce sont les soins que vous rendrez à votre père qui vous obtiendront mon pardon dans le ciel. Ne me répondez rien. Sortez : je n’ai pas la force de disputer dans ce moment30 ». De son propre aveu, Staël sort. Elle est privée de parole par sa mère agonisante à l’occasion de cette scène domestique. Elle l’est d’une autre manière et plus ouvertement, depuis plusieurs mois : sortant de la réserve adoptée après son mariage, l’épouse du ci‑devant ministre s’est mise à rédiger « un ouvrage pour l’impression […] contre le divorce ». La même lettre qui révèle cela à Narbonne continue ainsi : « On me le cache parce que la vertu doit se défier du crime, mais j’ai cependant appris par mon père qu’il y avait beaucoup d’esprit. Cela me gênera pour faire paraître le mien : cela aurait l’air de tous les genres de lutte, y compris celle des passions contre la vertu31 ». Tout se passe comme si la silencieuse Suzanne Necker comptait entrer dans l’arène pour ôter la parole publique à son enfant prodigue, la parution des Réflexions sur le divorce publiées à titre posthume ayant ainsi menacé de compromettre la sortie de De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations.

Tout se passe comme si aucun échange n’était possible entre la mère mourante et la fille désavouée. Germaine de Staël ne peut pas parler à sa mère et ne veut pas publier ce qui pourrait sembler constituer une réponse contredisant la prise de position maternelle contre le divorce. En privé, comme en public, elle paraît être ainsi incapable d’engager la conversation. Le 15 mai 1794, Suzanne Necker s’éteint, ayant tout laissé, par testament, à son époux32. Face à la malédiction de sa mère morte33, à jamais silencieuse, donc, Germaine de Staël écrit pour expier. Elle reprend la parole. Elle ôte le baillon métaphorique imposé par la mère impérieuse qui a exigé qu’elle se taise. Mais elle tente aussi de se faire entendre de la disparue.

Catherine Dubeau voit le double dénouement de Delphine comme « l’actualisation des deux obstacles, extérieur et intérieur, annoncés par Madame de Vernon dans la confession précédant sa mort ». Elle ajoute, ayant rappelé l’importance du choix de la fiction : « il est invitant de lire Delphine et les ‘Réflexions’ qui en découlent comme adressées à la mère perdue, réponse différée au premier ange tutélaire, éducatrice exigeante, ‘écrivain moraliste’, auteure prolifique de ‘maximes’ destinées à gérer sa propre vie et, par‑delà la mort, à hanter celle de sa fille34 ».

Si la boucle est bouclée en passant d’une formule sur la page de titre due à Suzanne Necker à une clausule citée dans ses Mélanges – Sophie Lefay propose, à ce sujet, de parler d’inversion épigraphique à un moment où le terme « épigraphe » commence à migrer de la pierre tombale au seuil d’un livre, mais pour en marquer l’ouverture, plutôt que, comme ici, la clôture – un autre mouvement circulaire me semble caractériser l’ouvrage. La préface – qui se terminait aussi sur des vers qui évoquent des morts dont le nom n’a pas été conservé, et sont tirés de La Divine Comédie (la source est donnée) – s’adressait à « La France silencieuse mais éclairée ». C’est elle aussi qui ne répond pas, mais entend peut‑être la romancière. Comme l’écrit Roger Pearson :

Staël, for her own part, not content with patient resignation, implicitly hopes that her silent readers have heard and understood her message: it is time for them to display their ‘enthousiasme’ and claim the freedom that belongs to them in a true republic. She cannot say as much, but like the music that inspires in Delphine a form of enthusiasm ‘que la parole ne saurait peindre’, perhaps the novel can move its readers to adopt this cause with their own independent minds. Even while appearing to submit to opinion, she is also defying it; and as the final paragraph of the preface suggests, she knows what she is doing35.

Le critique trace alors un parallèle, éclairant par son contraste, entre la démarche de Staël, invitant ceux qui sont restés silencieux à s’exprimer, et l’action du Père Aubry dans Atala, qui a gravé sur des arbres des extraits d’Homère et du Cantique des cantiques comme pour inscrire la civilisation occidentale sur les esprits « primitifs » des « sauvages ».

Au‑delà du dernier paragraphe de la préface auquel il est fait référence ci‑dessus, il me semble que la phrase ultime peut être vue comme un appel renouvelé à cette France silencieuse. Elle ne répond pas, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’elle n’entend pas. Si cette France entend, Staël peut du moins l’espérer, elle pourrait réagir. La notion d’un magistère de l’écriture est présente dans De la littérature. La fiction atteint un public au‑delà de celui des essais et que vise consciemment la romancière36. Il y a donc un appel à la lecture et à l’action dans le choix du vers final. Le passage emprunté entre ainsi en résonance avec plusieurs aspects de l’œuvre et de son contexte de création.

Une démonstration de l’importance de Staël comme relais est la présence ailleurs, en particulier comme épigraphes à des poèmes, de vers dans les versions erronées ou approximatives qu’elle donne. Il y en a plusieurs exemples, et la phrase de Marmontel n’échappe pas à la règle. Si elle est dûment attribuée au poète, mais citée sous la forme adoptée par Staël dans l’Énéide traduite par Delille37, sans aucun doute lecteur de l’académicien, qu’il cite dans sa préface à propos de la question du merveilleux38, d’autres cas laissent entendre que Delphine est la source de citations ultérieures. Un exemple est fourni par l’un des « Sonnets to the Memory of a young friend » adressés par Anna Jane Vardill (1781‑1852) à la mémoire d’un jeune ami mort le 11 décembre 1802. L’incipit est en effet précédé de la phrase « On ne me répond pas, mais peut‑être on m’entend ! » donc la forme présente dans Delphine39.

Au‑delà de la mode de la poésie des tombeaux, illustrée, à ses débuts, par la traduction inaugurale en français de l’Élégie dans un cimetière de campagne de Gray, œuvre de Suzanne Necker parue pour la première fois en 1765 dans la Gazette littéraire de l’Europe, le vers conclusif du roman de Germaine de Staël témoigne de la portée d’une idée éternelle, condensée dans une forme aisément mémorable (au prix de quelques approximations) et vient redire combien la littérature est circulation, jeu de correspondances entre auteur et lecteur. La fin seconde de Delphine, qui réagissait aux remarques de certains, ne parvient pas à atteindre à cette dimension, celle qui, à défaut de provoquer une réponse certaine, suscite tout au moins un écho.

1 Germaine de Staël, Delphine, Œuvres, éd. Catriona Seth avec la collaboration de Valérie Cossy, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 

2 Auguste de Staël signale en note : « Cette nouvelle ne s’est point trouvée dans les manuscrits de ma mère : et j’ai même tout lieu de croire qu’elle

3 Ibid.

4 Ibid., p. 941‑967.

5 Ibid., p. 940.

6 Ibid., p. 966.

7 Ibid., p. 967.

8 Ibid., p. 784. « Et toi, qui sait si jamais tu te souviendras de moi ! » Le vers est extrait d’une canzonetta de Métastase, intitulée « La Partenza 

9 « Il me sembla que cette inscription m’accusait d’un long oubli, je me repentis d’avoir laissé passer une année sans venir auprès de ce monument. » 

10 Sophie Lefay, L’Éloquence des pierres. Usages littéraires de l’inscription au xviiie siècle, Paris, Garnier, 2015, p. 242.

11 Delphine, t. II : L’Avant‑texte : contribution à une étude critique génétique, éd. Lucia Omacini, Genève, Droz, 1990 (Abrégé par la suite en « 

12 Delphine II, p. 560‑61 : « une fois dans mon enthousiasme, je les ai appellé tous les deux, et je leur ai demandé, si je ne ferois pas mieux de les

13 Jean‑François Marmontel, Œuvres complètes, Paris, Née de la Rochelle, 1787, t. XVII, p. 388‑9. – L’allusion à la présence de Marmontel figure à la

14 Jean‑François Marmontel, Pénélope, Paris, Ballard, 1785, p. 11.

15 Lettre de Zuylen et du Pontet, Bulletin 25 (2000), p. 20.

16 Source donnée : Fonds Constant II. BCU de Lausanne.

17 Memoirs of the Life of Sir Samuel Romilly, written by himself ; with a selection from his correspondence, edited by his sons, 3rd edition, London

18 Marie‑Thérèse Bouyssy, « Stratégie d’écriture et préromantisme : Bertrand Barère en 1788 », Annales du Midi, 1993, vol. 105, p. 247‑61.

19 Voir Marie E. Lein, « Marmontel, précurseur et inspirateur de Mme de Staël ? », Modern Philology, vol. LXIV.4, mai 1967, p. 293‑306.

20 Voir Germaine de Staël, Lettres à Narbonne, éd. Georges Solovieff, Paris, Gallimard, 1960, p. 283.

21 Œuvres complètes de Madame de Souza, Paris, Alexis Eymery, 1821, t. I, p. 293. Voir Marie‑France Silver, « Adèle de Sénange [sic] (1794) et sa

22 Voir en particulier : Madelyn Gutwirth, Madame de Staël, Novelist. The Emergence of the Artist as Woman, Urbana, University of Illinois Press, 1978

23 Catherine Dubeau, « La mort de Mme de Vernon et les deux dénouements de Delphine : invention romanesque et réminiscences maternelles chez Mme de 

24 Paris, Charles Pougens, 1798, 3 vol., t. I, p. 191.

25 Delphine II, p. 467.

26 Voir CG I‑1, p. 230.

27 Paris, Charles Pougens, 1801, 2 vol., t. II, p. 73‑74.

28 CG‑II, p. 253.

29 Le 9 mai 1794 (CG‑II, p. 283), Staël évoque à nouveau un double coup qu’elle a subi, de la part de sa mère et de Narbonne : « Je ne puis m’empêcher

30 Lausanne, 22 mars 1794 (CG‑II, p. 253).

31 16 juillet 1793 (CG‑II, p. 140).

32 Notons que Staël, dans la lettre à Narbonne racontant son renvoi par Suzanne Necker après l’épisode de l’étouffement horrible ajoute plus loin une

33 Annonçant à Narbonne la mort de Suzanne Necker le 15 mai 1794 (CG‑II, p. 285), Germaine de Staël, qui écrit à l’ancien amant « Je vous épargne les

34 Catherine Dubeau, « La mort de Mme de Vernon et les deux dénouements de Delphine », p. 170‑171.

35 Roger Pearson, Unacknowledged Legislators : The Poet as Lawgiver in Post‑Revolutionary France, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 220 : « 

36 Voir la lettre à Carl Gustaf von Brinkman, du 27 avril 1800: « [J]e vais faire un roman cet été. Après avoir prouvé que j’avais l’esprit sérieux

37 Paris, Giguet et Michaud, t. II, 1805, p. 93 (notes sur le 3e chant). – On ajoutera, à titre de curiosité, que dans les notes rajoutées au chant 

38 Sophie Lefay, à qui j’adresse mes remerciements, m’a rappelé cette occurrence.

39 Poems and Translations, from the minor Greek poets and others ; written chiefly between the ages of ten and sixteen, by a lady, London, Longman

1 Germaine de Staël, Delphine, Œuvres, éd. Catriona Seth avec la collaboration de Valérie Cossy, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 969.

2 Auguste de Staël signale en note : « Cette nouvelle ne s’est point trouvée dans les manuscrits de ma mère : et j’ai même tout lieu de croire qu’elle n’a jamais été achevée. » (Ibid.)

3 Ibid.

4 Ibid., p. 941‑967.

5 Ibid., p. 940.

6 Ibid., p. 966.

7 Ibid., p. 967.

8 Ibid., p. 784. « Et toi, qui sait si jamais tu te souviendras de moi ! » Le vers est extrait d’une canzonetta de Métastase, intitulée « La Partenza », mise en musique par le poète lui‑même, ainsi que par de très nombreux compositeurs dont Farinelli, Caffarelli, Paisiello, Mozart et Beethoven.

9 « Il me sembla que cette inscription m’accusait d’un long oubli, je me repentis d’avoir laissé passer une année sans venir auprès de ce monument. » (Ibid., p. 785).

10 Sophie Lefay, L’Éloquence des pierres. Usages littéraires de l’inscription au xviiie siècle, Paris, Garnier, 2015, p. 242.

11 Delphine, t. II : L’Avant‑texte : contribution à une étude critique génétique, éd. Lucia Omacini, Genève, Droz, 1990 (Abrégé par la suite en « Delphine II »), p. 466‑7.

12 Delphine II, p. 560‑61 : « une fois dans mon enthousiasme, je les ai appellé tous les deux, et je leur ai demandé, si je ne ferois pas mieux de les rejoindre, s’il n’étoit pas vrai que sur cette terre les âmes fières et sensibles n’avoient rien à attendre que des douleurs sur des douleurs ; il m’a semblé qu’une voix portée par le vent, me disoit : – Supporte la peine, attends la nature et fais du bien aux hommes ; – j’ai baissé la tête et je me suis résigné ; mais avant de quitter ces lieux j’ai écrit, sur la tombe de mes amis, ce vers, la seule consolation des infortunés que la mort a privé des objets de leur affection :/ ‘On ne me répond pas, mais peut‑être on m’entend’ ».

13 Jean‑François Marmontel, Œuvres complètes, Paris, Née de la Rochelle, 1787, t. XVII, p. 388‑9. – L’allusion à la présence de Marmontel figure à la p. 388.

14 Jean‑François Marmontel, Pénélope, Paris, Ballard, 1785, p. 11.

15 Lettre de Zuylen et du Pontet, Bulletin 25 (2000), p. 20.

16 Source donnée : Fonds Constant II. BCU de Lausanne.

17 Memoirs of the Life of Sir Samuel Romilly, written by himself ; with a selection from his correspondence, edited by his sons, 3rd edition, London, John Murray, 1841, t. I, p. 244‑5.

18 Marie‑Thérèse Bouyssy, « Stratégie d’écriture et préromantisme : Bertrand Barère en 1788 », Annales du Midi, 1993, vol. 105, p. 247‑61.

19 Voir Marie E. Lein, « Marmontel, précurseur et inspirateur de Mme de Staël ? », Modern Philology, vol. LXIV.4, mai 1967, p. 293‑306.

20 Voir Germaine de Staël, Lettres à Narbonne, éd. Georges Solovieff, Paris, Gallimard, 1960, p. 283.

21 Œuvres complètes de Madame de Souza, Paris, Alexis Eymery, 1821, t. I, p. 293. Voir Marie‑France Silver, « Adèle de Sénange [sic] (1794) et sa réception », Lumen, vol. XIV, 1995, p. 119‑126.

22 Voir en particulier : Madelyn Gutwirth, Madame de Staël, Novelist. The Emergence of the Artist as Woman, Urbana, University of Illinois Press, 1978.

23 Catherine Dubeau, « La mort de Mme de Vernon et les deux dénouements de Delphine : invention romanesque et réminiscences maternelles chez Mme de Staël », Birth and Death in nineteenth‑century French Culture, éd. Nigel Harkness, Lisa Downing, Sonya Stephens et Timothy Unwin, Amsterdam, Rodopi, 2007, p. 154.

24 Paris, Charles Pougens, 1798, 3 vol., t. I, p. 191.

25 Delphine II, p. 467.

26 Voir CG I‑1, p. 230.

27 Paris, Charles Pougens, 1801, 2 vol., t. II, p. 73‑74.

28 CG‑II, p. 253.

29 Le 9 mai 1794 (CG‑II, p. 283), Staël évoque à nouveau un double coup qu’elle a subi, de la part de sa mère et de Narbonne : « Je ne puis m’empêcher de me demander par quel affreux contraste je reçois le même jour la malédiction de ma mère pour vous avoir aimé, et la lettre que je tiens là : c’est trop de mal à la fois, et je ne sais pas lutter contre tant de genres de haine. »

30 Lausanne, 22 mars 1794 (CG‑II, p. 253).

31 16 juillet 1793 (CG‑II, p. 140).

32 Notons que Staël, dans la lettre à Narbonne racontant son renvoi par Suzanne Necker après l’épisode de l’étouffement horrible ajoute plus loin une note cynique : « La perte trop probable de ma mère me donnera vraisemblablement plus d’aisance [financière] ». (CG‑II, p. 255)

33 Annonçant à Narbonne la mort de Suzanne Necker le 15 mai 1794 (CG‑II, p. 285), Germaine de Staël, qui écrit à l’ancien amant « Je vous épargne les détails – cruels pour moi, et dans un autre temps pour vous – qui ont suivi cet affreux événement. Nous ne nous entendons plus » (je souligne). Elle ajoute : « Ma mère m’a écrit une lettre, datée de mon voyage en Angleterre, où elle me prédit tout ce qui m’est arrivé avec vous. Je ne suis pas superstitieuse, mais cela est frappant comme moralité. »

34 Catherine Dubeau, « La mort de Mme de Vernon et les deux dénouements de Delphine », p. 170‑171.

35 Roger Pearson, Unacknowledged Legislators : The Poet as Lawgiver in Post‑Revolutionary France, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 220 : « Staël, quant à elle, ne se satisfait pas d’une résignation patiente et espère implicitement que ses lecteurs silencieux auront entendu et compris son message : il est temps pour eux de faire montre de leur ‘enthousiasme’ et de réclamer cette liberté qui leur appartient dans une république véritable. Elle ne peut en dire autant, mais comme la musique qui inspire en Delphine une forme d’enthousiasme ‘que la parole ne saurait peindre’, le roman peut peut‑être pousser ses lecteurs à adopter cette cause avec leurs propres esprits indépendants. Tout en paraissant se soumettre à l’opinion, elle la défie et, comme le laisse entendre le dernier paragraphe de la préface, elle sait ce qu’elle fait ».

36 Voir la lettre à Carl Gustaf von Brinkman, du 27 avril 1800: « [J]e vais faire un roman cet été. Après avoir prouvé que j’avais l’esprit sérieux, il faut, s’il se peut, tâcher de le faire oublier, et populariser sa réputation auprès des femmes. »

37 Paris, Giguet et Michaud, t. II, 1805, p. 93 (notes sur le 3e chant). – On ajoutera, à titre de curiosité, que dans les notes rajoutées au chant VII de L’Imagination (qui sont ultérieures et pas de Delille lui‑même), le vers est à nouveau cité, mais dans la forme modifiée par Adélaïde de Flahaut (Mme de Souza). La note (qui renvoie au passage suivant de Delille : « Ce n’est donc pas en vain que l’humanité sainte/ Des tombeaux en tous lieux a consacré l’enceinte. ») indique : « L’oubli des morts est aussi contraire à la saine politique qu’à la saine raison, et au respect que les fils doivent à la mémoire de leurs pères et de leurs aïeux, qui leur ont transmis leur sang, leur fortune, leurs lois, et leur patrie. C’est sur les tombeaux que les cœurs tendres se plaisent à rêver l’existence des êtres qu’ils regrettent ; ils s’y rattachent surtout par les liens de la religion, et par l’espoir de se réunir à eux dans un monde meilleur ; ils se figurent même que les âmes de leurs amis jouissent des regrets qu’ils donnent à leurs dépouilles mortelles, et qu’elles viennent errer quelquefois autour de leurs sépultures ; ils croient entendre leurs soupirs dans le souffle des vents et dans le murmure des ruisseaux. L’amour se plaît surtout à nourrir ces tendres illusions ; une amante, une épouse, une mère, se disent souvent, sur la tombe de celui qu’elles regrettent,/ Il ne me répond pas, mais peut‑être il m’entend./ Marmontel. »

38 Sophie Lefay, à qui j’adresse mes remerciements, m’a rappelé cette occurrence.

39 Poems and Translations, from the minor Greek poets and others ; written chiefly between the ages of ten and sixteen, by a lady, London, Longman, 1809. Le poème débute ainsi : « Thou too art gone ! but ever shall my heart/ The balmy essence of our love retain ».

Catriona Seth

All Souls College, Oxford et Université de Lorraine.