« Le despotisme, aussi bien que la liberté, se prend et ne s’accorde pas. »
Germaine de Staël, Considérations sur la Révolution française
On commémore, en cette année 2015, le bicentenaire de la fin de l’Empire. Le Xe Colloque de Coppet, organisé sous l’égide de l’Institut Benjamin Constant au Château de Coppet et à l’Université de Lausanne, et placé sous le traditionnel patronage de la Société des études staëliennes, de l’Association Benjamin Constant et de l’Associazione di Studi Sismondiani, s’est interrogé à l’automne 2014 sur les modalités de sortie de l’Empire dans l’orbe de Coppet et de ses héritages (Comment sortir de l’Empire ? Le Groupe de Coppet face à la chute de Napoléon, 1er–3 octobre 2014, Coppet-Lausanne). En guise de contrepoint à cette actualité, les actes de la Journée de Coppet « hors les murs » conçue par Florence Lotterie, Léonard Burnand et Francesca Sofia, et accueillie par la Fondation Martin Bodmer le 22 mai 2015 à Cologny (Genève), se proposent une interrogation à nouveaux frais sur les modalités et les enjeux de l’imaginaire et de la théorisation du despotisme dans les œuvres majeures du Groupe de Coppet.
Quelles confrontations opérer avec la tradition de philosophie politique antécédente ? Coppet traite avec l’héritage libéral de Montesquieu, se gardant d’oublier que le despotisme, comme tel, est bien, dans De l’esprit des lois, un système doté d’une logique propre, à travers lequel interroger une tension problématique entre permanence du type (qui informerait en particulier la figure ambivalente du monstre) et processus historique orienté par la dynamique de la perfectibilité et de la liberté1. Contre le cynisme politique, se trouve en revanche récusé un Hobbes (défini comme « l’homme qui a le plus spirituellement réduit le despotisme en système2 »), ou discutée, pour lui conférer une place finalement assez ambiguë, la pensée de Machiavel.
Comment la pluralité des modes d’écriture du Groupe de Coppet (essais, fictions, textes autobiographiques…) permet-elle de configurer les conflits propres à ce qu’on peut appeler l’« expérience despotique » ? De quelle manière celle-ci permet-elle d’articuler diverses tonalités de discours ? Par ailleurs, si le despote apparaît comme une résistance au mouvement de l’histoire, quels sont toutefois les agents du despotisme ? Dans quelles régions sociales, et pour quels effets, est-il susceptible de s’imposer ? N’y a-t-il pas, à cet égard, des despotismes ? Comment distinguer despotes « anciens » et despotes « modernes » ? Existe-t-il un régime vraiment pur de toute tendance au despotisme, ou vraiment apte à en neutraliser la tentation toujours renaissante ? Le remède est-il dans les lois ou dans la vertu ?
La pensée libérale de Coppet n’a-t-elle pas précisément travaillé à explorer cette frontière labile de la morale et du politique, de l’individu et du citoyen, où la passion de soi et celle du bien commun menacent d’échanger leurs rôles, non sans que joue à cet égard l’ambiguïté de la servitude volontaire et, plus généralement, la dualité morale de l’homme3 ? Ce faisant, elle est un des socles de la pensée de la résistible ascension des tyrannies et des formes de la liberté de décision humaine dans l’histoire, comme de celle des équivoques et des obscurités du « moi », qu’elle n’aura cessé d’appeler à sacrifier sa jouissance à son devoir et les circonstances aux principes.